Saint-Barth -

Kongo Art : « Le graffiti, c’est en réalité le premier geste de l’homo sapiens »

La Collectivité installe une nouvelle exposition au musée territorial. « Immortels » regroupe des œuvres du peintre Kongo Art, alias Cyril Phan, une sommité dans le milieu du street art. A voir à partir de samedi 30 mars. 


Après l’univers onirique de Kay Quattrochi, changement radical d’ambiance : le musée territorial propose une exposition de Cyril Phan, street artiste de la première heure, du 30 mars au 25 mai. Rencontre avec un routard de la bombe de peinture, l’un des pionniers de cet art passé du vandalisme aux galeries.

Pouvez-vous nous présenter votre travail et ce que l’on verra au musée Wall House ?
Je suis artiste peintre, issu de l’art urbain, je peins depuis les années 80. L’exposition s’appellera « Les Illustres » (*), et je vais présenter différentes œuvres basées sur la calligraphie. Il y aura des œuvres en émail réalisées dans l’Est de la France, dans le cadre d’un travail que je mène autour du travail du feu, des portraits de personnes qui m’ont inspirées, souvent des artistes… D’où le nom de l’exposition, « Les Illustres ».

D’où vient cet attrait pour les métiers du feu ?
Cela s’explique très simplement. Ma référence, ce sont les peintures des grottes de Lascaux. Ce sont les premières œuvres picturales connues des homo sapiens, donc de notre race. Et ce ne sont rien d’autres que des graffitis, qui évoquent des rites étranges et obscures, et beaucoup d’espoir : on essaie d’attraper l’antilope ou le bison que l’on a peint sur le mur. C’est aussi à cette période que l’homme a maîtrisé le feu. Ce qui lui a permis de faire cuire sa nourriture, puis faire cuire de la terre pour faire des récipients, et transporter de l’eau, partir en exploration… L’humanité est basée sur la maîtrise du feu. Le graffiti, ce qu’on appelle de l’art urbain, c’est en réalité le premier geste de l’homme, signe d’espoir.

Vous ne vous revendiquez donc pas de ce qu’on appelle le street art ?
J’ai fait le tour du monde dix fois grâce au graffiti, j’ai créé le festival Kosmopolite, que je préside depuis douze ans, les artistes qui ont émergé sont tous passés par là. J’ai donné ses lettres de noblesse au graffiti, avant qu’on ne l’appelle street art. Je suis un artiste, je raconte des histoires. Le street art, c’est du marketing. Aujourd’hui, le dieu est le monde du luxe, les demi-dieux sont les artistes.

“Le Dieu est le monde du luxe” ?
Nous n’avons plus de héros, plus de convictions politiques… Tout est lié à la surconsommation. Je ne porte pas de jugement là-dessus. Mais les revenus du monde du luxe sont bien au-delà de ceux de l’éducation, de l’agroalimentaire. J’en suis un acteur : j’ai fait une montre Richard Mille, un iconique Carré Hermès…

Quelle est la différence entre la peinture illicite sur un mur et celle d’un carré Hermès ?
A 16 ans, je recherchais l’adrénaline. Peindre sur le train qui parcourt toute l’Europe, le métro le plus vu, le spot inaccessible… J’avais besoin de reconnaissance. La peinture était liée au sensationnel plus qu’à l’esthétique. De 26 à 36 ans, tu as plus tendance à vouloir te poser, raconter des histoires. J’ai eu la chance de pouvoir faire des tours du monde, j’ai signé des fresques monumentales à Hong Kong, Jakarta, New York… Partout. Puis de 36 à 46 ans, tu te poses davantage, tu réfléchis sur ton travail, tu as plus de recul sur la création, tu es moins dans l’instinct et dans l’urgence. Tu commences à comprendre que tu as un vrai vocabulaire graphique, et tu veux le pérenniser.

Le graffiti est-il aujourd’hui considéré comme un art à part entière ?
Il y a une époque, j’avais une bombe de peinture dans la main, dans la rue, on appelait les flics alors que je ne faisais que la déco pour une boutique. C’est pour ça que j’ai créé une bombe de peinture en cristal, pour montrer que c’est un outil de création, plus que de destruction. J’ai créé le festival Kosmopolite dans une petite ville de banlieue, au cœur du 93 (Seine-Saint-Denis, ndlr), Bagnolet, qui était décriée à l’époque, avec l’objectif d’en faire la capitale du graffiti. Aujourd’hui, la plupart des gens font la différence entre art et vandalisme.

Quel est votre lien avec Saint-Barthélemy et/ou la Caraïbe ?
J’ai vécu très longtemps entre la Guadeloupe et Paris. Je parle créole, mes enfants sont moitié guadeloupéens. J’ai une relation très forte avec la Caraïbe. D’ailleurs, je sors en septembre une gamme de cigares, El Kongo, pour rendre hommage au cœur de la Caraïbe. Les indiens Mayas, Taïnos, Arawaks, se connectaient avec leurs dieux en brûlant des feuilles de tabac, et envoyaient leurs prières grâce aux fumées. Aujourd’hui encore, les principaux fabricants de tabac sont Cuba, la République Dominicaine, le Honduras et le Nicaragua. On ne peut pas être plus au cœur de la Caraïbe !

*Lorsque nous avons réalisé l’interview de Cyril Phan alias Kongo Art, début mars, l’exposition devait s’appeler Les Illustres, un nom également annoncé par Elodie Laplace, présidente de la commission culture. Entre temps, le titre de l’expo a été changé pour « Immortels ».

> A voir au musée territorial du 30 mars au 25 mai. Entrée gratuite.

















Journal de Saint-Barth N°1321 du 28/03/2019

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