Saint-Barth - Artists in lockdown

Le photographe de Saint-Barth Philippe Savary inspiré par les nouveaux modes de vie induits par le coronavirus. Fanxi Delarue, photographe confinée à Saint-Germain-en-Laye, profite du confinement pour s’adonner à la peinture. Vanessa Thuillier continue de créer malgré son quotidien chargé de maman et institutrice à Saint-Barth. Matthew Pasquarella, aux USA, en recherche de simplicité pendant cette période compliquée. 

Patchwork d’artistes de Saint-Barth confinés aux quatre coins du monde

Luca Bornoffi en Italie, Antoine Verglas aux Etats-Unis, Fanxi Delarue à Saint-Germain-en-Laye, Olivia Lerolle à Bali… L’association Artists of Saint-Barth compile les impressions de vingt-cinq de ses membres cloîtrés chez eux, à Saint-Barth mais aussi ailleurs, dans une série spéciale intitulée “Artists in lockdown” (Artistes en confinement).

En Italie, pays européen le plus touché par le coronavirus, Luca Bornoffi, peintre présent à Saint-Barth en février pour la Art Week, maintient son mantra : positivisme. « J’ai commencé le confinement de moi-même deux semaines plus tôt que le jour officiel, parce que j’ai pris très au sérieux ce virus. J’ai essayé de faire au mieux pour m’en préserver », explique-t-il depuis sa ferme de Mantua, dans le Nord-Est de la péninsule.

A Buffalo (Etat de New York), enfermé dans sa maison depuis plusieurs semaines, le peintre Matthew Pasquarella avoue avoir « perdu la notion du temps. Parfois je ne sais même pas quel jour on est. » La situation est d’autant plus spéciale pour lui qu’il est en contact direct avec le coronavirus : « Je travaille pour une organisation liée à la santé et la plupart de notre personnel a été renvoyé chez lui pour travailler à distance. Nous prenons toujours soin de nos patients. J’ai des amis qui sont morts du virus et des amis qui sont malades. Chaque jour, je crains un autre appel annonçant la disparition d’un autre artiste. » Il fait partie de ceux pour qui le confinement est particulièrement troublant. « Mon état d’esprit actuel est très précaire », confie Matthew Pasquarella. « L’ennui est toujours présent et maintenant que je vis seul, depuis le décès de mon amie en 2018, je suis constamment hanté par les souvenirs que nous avons partagés dans notre maison. Je m’inquiète pour mon père de 95 ans, qui, grâce à Dieu, est en bonne santé. »

Une épreuve aussi pour Dominique Le Grand Philouze, qui avait exposé au Toiny en février. Confinée près de Paris, elle-même a été contaminée par le Covid-19. « Je suis restée six jours sous oxygène, traitée avec la chloroquine tout de suite...J’ai été sauvée ! Je suis aujourd’hui en pleine forme mais j’ai eu très peur ! » raconte l’artiste. « J’ai l’impression de vivre avec un tueur invisible, c’est terrible. » Aux Etats-Unis, le photographe Antoine Verglas, qui n’est autre que le président de l’association Artists of Saint-Barth, pense avoir été touché lui aussi. « Confronté au virus depuis la mi-mars, je n’ai pas pu me tester mais j’ai eu de multiples symptômes pendant 4 à 5 jours, et j’ai réussi à sortir de la fièvre, de la toux et des douleurs musculaires avec du paracétamol », raconte-t-il. « Sans jamais vraiment m’ennuyer, il y a toujours quelque chose à faire. Mais passer du temps avec des gens et travailler avec une équipe me manque. Je peux me connecter avec eux mais pas vraiment les rencontrer. »

Autre ambiance à Bali avec la peintre Olivia Lerolle. Là-bas, pas de confinement, hormis les plages et les écoles fermées, et le bilan officiel est de deux morts du Covid-19. « La population a réagi en portant des masques et en respectant la distance sociale, sans y être forcée », rapporte Olivia Lerolle, qui se sent à Bali « en sécurité, protégée ». Elle voit du positif à cette paralysie mondiale : « c’est incroyablement agréable que le monde entier se calme enfin. À Bali, nous avons ce rituel annuel qui est le Nyepi. Trois jours de silence absolu dans toute l’île, sans électricité, sans Internet et même l’aéroport international est fermé. C’est un moyen pour eux de repousser les mauvais esprits. » Réflexion profonde du côté de Saint-Martin, où est confinée la dessinatrice Florence Poirier. « Au début j’ai ressenti un immense désespoir. Les projets que j’avais venaient de s’évaporer. Ensuite en voyant avec admiration comment le corps médical a dû réagir, s’organiser, innover pour sauver les malades, j’ai compris pourquoi l’artiste est usuellement considéré comme égocentrique, voire égoïste. »

Quiétude appréciée
à Saint-Barth

La majorité des artistes sont à Saint-Barthélemy. Les céramistes Laetitia et Igor Couston vivent « une parenthèse intemporelle, qui facilite l’inspiration et l’imagination. Cela nous permet de penser et de créer lentement. » Le photographe Philippe Savary, confiné dans sa maison de Grand Fond, apprécie aussi la quiétude ambiante. « La vie familiale imposée par le verrouillage me plaît. Je sors le chien, parfois c’est l’inverse. Tout est très calme à proximité. La mer n’est pas loin. L’air de la pandémie me semble très respirant. Je suis en bonne santé. Je vais bien.  Je ne porte plus de montre à mon poignet. Je fais revivre des noms de mon répertoire téléphonique qui étaient devenus des noms sans voix. »


Même plaisir pour le photographe Mehdy Maxor, qui a fui le confinement à Paris pour se retourner chez lui à Saint-Barth. Resté en quatorzaine à son arrivée, il en a profité pour se reposer, composer de la musique, et travaille désormais sur son prochain projet artistique. « Ce confinement m’a réappris à prendre le temps de prendre mon temps, donc je me sens plutôt serein. »


Laurent Benoît, photographe également, réalise qu’il est privilégié, confiné à Saint-Barth avec vue mer, par rapport à la majorité des gens. « J’ai l’impression de passer ma vie à cuisiner. Depuis quelques jours, j’essaye de me raisonner pour ne pas m’auto-couper les cheveux, pour l’instant, je tiens. » Véronique Vandernoot, qui peint Les Petits Carreaux, s’essaie à de nouveaux loisirs : « Moi qui n’ai pas la main verte, voilà que je me suis mise à planter des cactus, des bananiers, des fleurs et même des herbes aromatiques, mais là... peu de résultats pour le moment », avoue-t-elle. Avec une pointe d’inquiétude. « “Incertitude” est le nom que je donnerais à ce virus, pour la santé mais aussi le travail. Il va falloir être patients, très patients. En tant qu’artiste, cette année sera sans doute bien difficile quand on a un loyer à assumer. » Vanessa Thuillier, artiste multicarte, décrit des journées chargées : « En tant que maman de famille nombreuse, professeure des écoles et artiste pluridisciplinaire (en photographie, arts plastiques, musique et danse) une journée de confinement peut ressembler à un marathon. (…) Au quotidien, ce confinement exacerbe ma sensibilité. L’art permet de mettre un point d’orgue à ce que je ressens. »

Nouvelle inspiration
ou pause artistique ?

Est-ce que le confinement génère de nouvelles inspirations, de nouvelles envies chez les artistes ? Fanxi Delarue a troqué son appareil photo pour des pinceaux, et réalisé une grande toile pour les 50 ans de son mari. « Je ne suis normalement pas très peintre, étrangement j’avais une forte envie de peindre quelque chose pour lui, précisément pour notre famille. »

A Southampton, près de New York, le photographe Franz Walderdoff photographie « la Terre qui se guérit. Notre environnement est totalement immobile, le changement ne se produit qu’avec le changement de lumière à une heure précise de la journée. Je peux passer des heures à attendre que cela arrive. Les couleurs n’ont pas été modifiées sur l’ordinateur. J’essaie de donner aux photographies une impression de peinture. » Matthew Pasquarella, lui, a « redécouvert la simplicité du dessin au trait. Je les intégrerai probablement dans des peintures lorsque la vie redeviendra normale. »

Philippe Savary, lui, a vu dans notre nouveau mode de vie un sujet tout trouvé : « Je n’ai eu aucune inspiration pour faire de la photo-confinée qui consiste à faire de son chat, du rayon de soleil qui traverse la cuisine ou de son ombre portée sur un mur un sujet photo. En revanche j’ai pu faire ce que je crois aimer le plus : profiter de chaque sortie pour aller voler des portraits d’inconnus et, un peu à la manière d’un photo-reporter, témoigner de cette mode printemps-été 2020 où les gens défilent gantés et masqués. » Œuvres engagées de Florence Poirier, qui poursuit une série de dessins au départ inspirés par les aléas climatiques, « directement issus d’un sentiment d’insécurité suffoquant ». Mais aussi « des recherches sur des personnages qui bien masqués continuant à vivre », et enfin, elle exprime sur papier son « dégoût à l’égard de certaines décisions politiques. » La situation inédite que nous vivons en inspire certains, et en bloque d’autre. Dominique Le Grand Philouze, n’a « pas envie d’immortaliser une œuvre sur le Covid-19. C’est trop tôt pour moi, je suis encore dans la violence ! »

> La série Artists in Lockdown est à lire et regarder en anglais et en français sur le site www.artistsofstbarth.org

Journal de Saint-Barth N°1374 du 06/05/2020

Casse-tête du déconfinement
Voyages outre-mer-métropole
Course aux masques