Saint-Barth - Winona Berry Voix des Outre-mer

Les Outre-mer s’emparent de l’Opéra Bastille

Au 1er sous-sol de l’Opéra Bastille, la tension monte dans l’amphithéâtre. Les régisseurs alternent frénétiquement entre pénombre et lumière pour trouver le bon éclairage. Quelques heures à peine avant la finale du concours Voix des Outre-mer ce samedi 4 février, des techniciens équipés de casque, micros et caméras s’activent sur la scène. Un chant tribal retentit soudainement depuis les coulisses. « Tout va bien, nous sommes dans les Outre-mer », rassure en souriant Fabrice Di Falco, chanteur martiniquais et co-créateur du concours.

Présents dans les locaux depuis treize heures, les douze finalistes se lancent à 14 heures tapantes dans la répétition générale. En costume mais sans maquillage, ni coiffure, les artistes s’avancent sur scène pour entamer le chant d’ouverture. Les secondes passent, et ils restent muets. « On vous fait attendre parce qu’il y a un problème avec le son », lance la cheffe de la régie. Un instant plus tard, le signal est donné.

Dans le couloir qui fait office de coulisses, les candidats observent la prestation de leurs camarades sur une télévision. Des commentaires sont lancés à la volée : « Elle est très stylée quand elle chante », « elle, elle a de la technique ». Pour le moment, Winona ne « réalise pas » ce qu’il lui arrive et se sent pas « trop stressée ». Assis sur ses genoux, Antone Boinalli attire toute son attention. Du haut de ses huit ans, le jeune chanteur originaire de Mayotte porte avec élégance le costume. « Quand vous êtes passés, vous allez vous faire maquiller », lance une des organisatrices. Antone et sa cousine de 7 ans, Lollia, disparaissent dans les loges.

Chaussettes et paillettes
Dans la loge des hommes, Manaarii Maruhi complète son costume traditionnel. Assis face au miroir, le chanteur Polynésien accroche à ses longs cheveux noirs une coiffe imposante. Pour sa deuxième participation au concours et sa première apparition à la finale, l’aîné des candidats a décidé de chanter un opéra traduit en tahitien. Un moyen de « rendre hommage » à son professeur de chant et à sa sœur, décédée la veille du concours.

Ses pieds uniquement couverts par des chaussettes blanches, Winona répète sa prestation face aux nombreuses caméras. « Je suis plus satisfaite aujourd’hui qu’hier, avance avec prudence l’étudiante, de retour dans les coulisses. Mais on ne sait jamais ce qui peut arriver ce soir, le stress ça peut totalement nous couper l’air. » Des pas lourds se font entendre dans le couloir, Manaarii court pour rejoindre sa loge, sous les réprimandes des organisateurs qui craignent pour sa tenue.

Malgré l’étalage de produits de maquillage sur la table de la loge, Winona a opté pour le plus simple : eye-liner et mascara. « J’ajouterai moi-même le rouge à lèvres et les paillettes, déclare la candidate à l’intention de la maquilleuse. Les paillettes pourront être interprétées comme les larmes de mon personnage Orphée ». Il est à peine seize heures, pour tenir jusqu’à la fin de la répétition, Winona part chercher un en-cas. Très vite, la chanteuse se rend compte de son erreur : « Je ne peux pas manger maintenant. Avoir un bout de salade entre les dents quand on chante, c’est pire que tout. »

Une prestation émouvante
A 19h15, la foule se presse devant les portes de l’amphithéâtre. En quelques minutes, les spectateurs prennent d’assaut les places gratuites, réservées et même les marches d’escalier par manque de place. « Il y a beaucoup plus de monde que les autres éditions », chuchotent les journalistes du banc « presse ». Le concours étant diffusé en direct à la télévision, les spectateurs patientent calmement jusqu’à 20 heures.
Deux minutes avant l’heure fatidique, le public retient instinctivement son souffle. Les chanteurs prennent place sur scène, maquillés et chaussés, pour la plupart. Ils commencent à chanter, sans problème de son cette fois. Les deux cousins Lollia et Antone ouvrent le bal des prestations individuelles, sans être intimidés par la présence imposante du public. Ce qui leur a plu dans cette prestation ? « Chanter sur scène et représenter mon île», déclare Antone à la présentatrice. Le public est charmé.

Septième candidate de la soirée, Winona s’avance concentrée face à l’auditoire. Les paillettes sur son visage et ses boucles d’oreille tranchent avec son costume noir. La pianiste Kazuko Iwashima démarre l’air Che faro senza Euridice choisi par l’étudiante en chant lyrique. Au fil du morceau, l’émotion monte chez la candidate qui reçoit une salve d’applaudissements à la fin de sa prestation. « C’est un morceau qui ne me laisse pas indifférente», confie-t-elle dans les coulisses, toujours émue.

Un avenir plein de promesses
Après délibération du jury, la ministre de la Culture Rima Abdul Malak et le directeur de l’Opéra de Paris Alexander Neef, rejoignent Fabrice di Falco et Julien Leleu sur le devant de la scène. Dans l’enveloppe rouge qu’ils tiennent à la main, se trouvent les noms des vainqueurs du Prix Jeune talent et du prix Voix des Outre-mer. La persévérance paie pour la candidate d’Île-de-France Axelle Saint-Cirel. Après avoir reçu les encouragements du jury lors de la 3ème édition du concours, la chanteuse originaire de Guadeloupe remporte le prix Voix des Outre-mer. La martiniquaise Axelle Rascar Moutoussamy, âgée de 14 ans, reçoit quant à elle le Prix Jeune talent.

En pleurs, la petite Lollia sèche d’un revers de main ses larmes avant de joindre sa voix à celle de ses camarades. Pour cette dernière prestation collective, Winona chante avec un sourire franc sur le visage. « Je suis vraiment contente pour Axelle, c’était son moment », assure sans une once de déception la candidate de Saint-Barth. Postée devant l’amphithéâtre aux côtés de sa famille, Winona reçoit des félicitations appuyées de certains membres du public. « La directrice du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris est venue s’assurer que Winona postulerait dans son établissement l’année prochaine », souffle avec fierté sa mère.  Mais sur le moment, la chanteuse ne pense qu’à une seule chose : « aller dormir ».

  

 

Journal de Saint-Barth N°1506 du 09/02/2023

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