La culture ne roule pas sur l’or, de façon générale ; et la crise sanitaire a porté un coup très dur au secteur. A Saint-Barthélemy, le confinement a entraîné l’annulation des trois festivals qui composent le Printemps de la Culture.
Cette soirée du 14 mars pressentait de la suite des événements : trois jours avant le début du confinement, le vernissage de l’exposition de Dominique Rousserie au musée WallHouse n’avait attiré quasiment personne. Ambiance bizarroïde, alourdie par la crise sanitaire qui débutait, alors qu’un nouveau cas de Covid-19 venait d’être découvert à Saint-Barth.
Deux mois plus tard, le musée a rouvert ses portes, avec une limitation de l’entrée à quatre personnes tous les quarts d’heure. Port du masque recommandé, mais pas obligatoire. Il l’est en revanche à l’étage, à la bibliothèque territoriale. Celle-ci ne reprendra pas les ateliers pour enfants avant un moment, mais peut de nouveau accueillir du public, dans une limite de 15 ou 20 minutes par personne, et pas plus de dix personnes à la fois.
21 billets d’avions
à se faire rembourser
Le 16 mars, la France entière s’est confinée, un coup de tonnerre pour l’événementiel: outre la Bucket, les Voiles de Saint-Barth ou la Transat, le Printemps de la Culture est tombé à l’eau. Cet événement réunit, entre mars et mai, le Festival Livre & Jazz, le Festival du Film Caraïbe et le Festival de Théâtre. Tous sont organisés par des associations.
« On a eu beaucoup de soucis avec les musiciens et les écrivains, dans différents pays. Jusqu’au dernier moment, Douglas Kennedy voulait que l’on change son billet pour venir malgré tout ; on avait une chanteuse de jazz coincée au Maroc… » raconte Christian Hardelay, président de l’association Saint-B’Art. «Les compagnies n’ont pas joué le jeu. On leur a demandé des avoirs au nom de l’association, pour réutiliser les billets, ils ont refusé ». Les négociations sont encore en cours. Ce n’est pas rien pour la structure: le Festival Livre & Jazz, ce sont vingt-et-un billets d’avion à se faire rembourser !
« Et puis, il y a tout le reste : on avait accentué la communication cette année, avec des oriflammes, des chapeaux, on avait fait imprimer 3.500 programmes qui sont arrivés sur l’île pendant le confinement… Sans parler des affiches, des flyers, et on avait aussi investi dans un peu de matériel son et lumière. » Or, les sponsors ayant pour la plupart fermé leurs portes, ils ne verseront pas les sommes promises pour un festival annulé. «Heureusement on a deux mécènes qui avaient effectué leur versement en avance. Pour le reste, on a avancé avec nos deniers personnels ». Les membres de l’association réfléchissent maintenant à une façon d’organiser une remise des prix pour le concours de nouvelles, qui pour la partie adultes a battu un record de participation cette année. Avec la limitation des rassemblements à dix personnes sur la voie publique, pour le moment, ça paraît encore compliqué. Christian Hardelay garde l’espoir d’un report du Festival : «On aimerait beaucoup trouver un créneau en novembre, pour ne pas rater l’année 2020 complètement... C’est une envie, mais nous sommes tributaires de beaucoup de choses. »
Côté septième art, le Saint-Barth Film Festival devait célébrer son quart de siècle du 28 avril au 3 mai. Cela a laissé un délai supplémentaire à l’association Ciné Saint-Barth pour s’organiser : «Nous n’avions pas encore dépensé l’argent, heureusement », explique Ellen Lampert-Gréaux. Du coup, elle espère pouvoir reporter l’événement à l’automne, selon la crise et le maintien, ou non, de la subvention de la Collectivité.
Au Paradis, c’est une autre paire de manches. Alors que les musées ont été autorisés à rouvrir, ce n’est pas le cas des théâtres. De toutes façons, Nadège Emmanuelian n’avait pas prévu de représentation avant l’automne. « Même si on pouvait ouvrir, une grande partie du public ne serait pas à l’aise, les comédiens encore moins. Ce n’est pas d’actualité. L’ambiance ne s’y prête pas », explique la présidente de Saint-Barth Artists. L’annulation du Festival de Théâtre a aussi entraîné pour elle le casse-tête des billets d’avion : les avoirs sont nominatifs et valables un an. Ce qui signifie qu’il faudrait organiser le même festival dans l’année qui vient, difficile entre l’incertitude sur les avions, les agendas des comédiens… La compagnie d’Emilie Berry, une Saint-Barth devenue comédienne à Paris, devait venir fin mars pour jouer une série de pièces. « Là aussi, on aimerait bien les faire venir en fin d’année. Mais s’il y a une quatorzaine, c’est tout simplement inenvisageable. » Comme beaucoup, Nadège Emmanuelian navigue à vue. «On attend. »
Le retour du cinéma de plein air n’est pas non plus à l’ordre du jour pour l’Ajoe. Les bénévoles craignent trop de contraintes, et notamment dans l’organisation de la distanciation au sein de la file d’attente qui précède les séances.
Les cours de musique
fonctionnent en visio
Hors de l’événementiel, certaines activités ont pu se poursuivre durant le confinement. C’est le cas des cours de musique de l’association Saint-Barth Harmony. Durant les deux mois de confinement, la plupart des professeurs ont poursuivi leur enseignement par écrans interposés. Par conséquent, « nous ne constatons pas d’effet financier sur la fin de cette année scolaire et les frais annuels seront honorés», indique la présidente Mélanie Magras, soulagée.
Aujourd’hui, elle laisse le choix aux familles de revenir dans l’école de musique de Colombier, ou de poursuivre l’enseignement à distance. Seuls les cours individuels peuvent se faire physiquement, depuis lundi 18 mai, avec les précautions qui s’imposent. « Les adhérents doivent impérativement contacter leur professeur pour parler d’une éventuelle reprise en présentiel ou d’une continuité en visioconférence, chacun étant libre de faire ce choix. Les événements de fin d’année et regroupements physiques sont annulés. Et une bonne nouvelle, nous avons reçu la livraison d’un beau piano et d’un violoncelle grâce à notre appel de dons ! »
La culture à Saint-Barth, c’est aussi le site patrimonial du Domaine Félicité, à Public. Il a fermé ses portes avec le confinement, mais avait déjà anticipé : « Nous n’avions pas attendu cette date pour prendre quelques mesures de précautions même si peu de monde circulait à ce moment-là. Nous avions quelques croisiéristes programmés qui ont été annulés de fait », rapporte Arlette Magras. Les finances du Domaine Félicité en prennent un coup, bien sûr, puisque pendant que le lieu est fermé, les frais continuent entre le jardinier, l’eau de ville pour arroser le joli parc… Aujourd’hui, les musées sont autorisés à ouvrir, mais le Domaine Félicité n’a pas encore annoncé de date de reprise. « Nous sommes pour la plupart des personnes à risques nous devons observer quelques restrictions. » Arlette Magras prépare un protocole. Selon elle, « les gens sur l’île pour le moment ne présentent pas de risque mais dès l’ouverture du port et de l’aéroport, il y a de grandes chances que le virus circule à nouveau malgré toutes les précautions prises ».