Saint-Barth - Arthur Laurent, théâtre

Arthur Laurent, les planches comme terrain de jeu

Niché dans le chic 5e arrondissement de Paris, un grand hôtel particulier accueille le spectacle immersif « Jules Verne, le voyage extraordinaire ». Ce mercredi après-midi de juin, des groupes d’enfants enfilent des capes bleues pour embarquer dans ce voyage dans le temps. Dans la première salle, les spectateurs rencontrent un Jules Verne plutôt âgé, qui revient sur les nombreux livres qu’il a écrits. Mais il n’est pas question de s’appesantir. Les spectateurs commencent leur épopée dans une autre pièce dont les décors reproduisent une imprimerie du XIXe siècle. Alors que le célèbre éditeur Pierre-Jules Hetzel s’extasie sur les miracles des progrès technologiques, Arthur Laurent attend dehors, l’oreille collée à la porte en quête d’un signal sonore. Le comédien en profite pour se répéter les consignes de jeu : incarner un Jules Verne dynamique et souriant. « Si en sortant, les gens se disent : c’était super, ça m’a donné envie de le lire, c’est tout bon », résume le natif de Saint-Barth. Plein de fraîcheur, le comédien fait son entrée dans l’imprimerie des étoiles plein les yeux. Jules Verne est encore un jeune écrivain dont l’éditeur Hetzel adore les premiers écrits. Il pousse alors son poulain à lui proposer de nouvelles histoires au plus vite pour surfer sur son succès grandissant. Son carnet à la main, Jules Verne se tourne vers le public : « Suivez-moi, nous devons aller voir le photographe Nardal, avant de retrouver Hetzel. » Le sourire aux lèvres, les enfants suivent de salle en salle l’interprète qui leur fait vivre les histoires extraordinaires de Jules Verne.


Un spectacle exigeant
Quelques semaines plus tôt, Arthur connaissait peu la vie de cet illustre écrivain. L’étudiant au conservatoire du centre de Paris a répondu en ligne à une annonce de casting pour ce spectacle. Deux jours plus tard, on lui propose une audition. Comme à son habitude, Arthur s’investit au maximum en tentant d’apprendre le texte par cœur, mais le temps manque : «L’audition était dramatique, j’ai appris le texte la veille et je ne connaissais pas du tout le concept. » Ce spectacle immersif est basé sur une mise en scène millimétrée, où le texte des acteurs doit coller à la bande-son à la seconde près. Sélectionné pour le rôle, Arthur dispose seulement d’une semaine pour s’imprégner du rôle puisqu’il remplace un comédien qui a quitté l’aventure au dernier moment. Pas le temps de plancher sur la personnalité de Jules Verne, ni de lire ses livres : « Comme j’avais peu de temps pour tout assimiler, je n’ai pas cherché à coller à tout prix au personnage de Jules Verne, mais plutôt à l’adapter un peu à moi, pour que ça fasse plus vrai. » Au fil des représentations, la mise en scène évolue pour répondre aux attentes du public. «Au départ, ils voulaient un Jules Verne jeune, mais aussi distingué, très noble dans la parole, comme en 1800, explique Arthur. Mais au bout de deux spectacles, on leur a dit que les enfants avaient besoin de quelque chose de plus accessible. » Présentée comme une pièce dédiée à un jeune public, le spectacle charme tout aussi bien les adultes. « Il y a beaucoup de grands-parents qui viennent nous voir et qui nous remercient, sourit l’acteur âgé de 25 ans. Ils nous disent que ça les a replongés dans leurs lectures de jeunesse. »


 Chercher sa voie
Lors de son enfance à Saint-Barth, Arthur a tenté de lire un livre de Jules Verne : “Le Tour du monde en 80 jours”. Mais il ne dépasse pas la moitié de l’ouvrage. Le théâtre ne fait pas partie de ses passe-temps non plus. L’adolescent est plutôt branché ballon ovale, il va même intégrer une section rugby dans son lycée à Bordeaux. L’ambiance est agréable dans les vestiaires et dans la classe, pourquoi ne pas prétendre au Pôle Espoir ? Un proche de sa famille d’accueil met un terme à ses rêveries : «Il m’a juste dit, tu es trop petit et trop maigre. » Sans objectif précis pour l’avenir, le lycéen passe vite à autre chose. Il change de lycée pour suivre une filière littéraire et sa mère l’incite à s’inscrire au théâtre pour s’intégrer. « J’ai vraiment bien aimé, mais je voyais plutôt ça comme un hobby », raconte Arthur. Bon élève sans faire trop d’efforts, Arthur suit les recommandations de ses professeurs et s’engage dans la « voie royale» : la prépa littéraire. Dès le premier jour, il comprend qu’il n’est pas dans son élément. « C’était assez étonnant la prépa parce que j’étais vraiment nul, lâche le comédien. Je voyais tous les autres qui passaient leurs soirées à bosser et moi, j'allais faire du foot avec des amis. » Un seul exercice lui permet de s’en sortir avec brio : les khôlles (une épreuve orale). Arthur préfère échanger, discuter, plutôt que plancher seul sur une copie pendant six heures. Mais ça ne suffit pas pour lui assurer une place pour la deuxième année. Arthur quitte la prépa et entre en licence de droit à l’université. « C’était tout aussi catastrophique », déclare-t-il en riant. Plus le temps passe et moins l’étudiant se sent en phase avec son parcours. « Au bout d’un moment, je me levais la boule au ventre, confie-t-il. Un jour, j’ai pris le tram et au lieu d’aller à la fac, je suis allée à Fnac et j’ai lu des mangas toute la journée. »
 
« Aller jouer au théâtre à Saint-Barth, ce serait vraiment super »
Le Covid interrompt les cours et oblige Arthur à se questionner sur son avenir. Après de nombreuses discussions avec ses proches, l’étudiant réalise une chose : « Dans ma scolarité, je crois que le seul truc que j’ai aimé, c'est quand j’ai fait du théâtre. » La décision est prise, il reste maintenant à l’annoncer aux parents lors d’un appel en visio. Sa mère éclate de rire, elle pense à une blague. Son père, plus pragmatique, lui demande : « Tu es prêt à galérer ? » Arthur répond par l’affirmative. Ses parents le soutiennent alors pour se former aux Cours Florent, puis au conservatoire du centre à Paris. Lors de cette seconde formation, il rencontre une autre étudiante, Marina, qui l’engage pour jouer dans la pièce qu’elle a écrite. « Arthur a un spectre de jeu immense, souligne la metteuse en scène. Il est très dynamique, il a un très bon jeu de clown, mais il a aussi la capacité d’avoir un jeu intérieur très profond. » La collaboration entre les quatre comédiens sur cette pièce se déroule si bien qu’ils décident de créer leur propre compagnie appelée “À ciel fermé”. Les artistes montent ensemble des projets et tentent ensuite de les proposer à des théâtres. « On a décroché un contrat pour jouer à partir de décembre notre pièce “Diagnostik” dans un petit théâtre dans le 19ème arrondissement de Paris », se réjouit l’interprète. Confronté au casse-tête administratif du monde artistique, Arthur rêve d’avoir davantage de financements pour monter « des spectacles ambitieux, avec des propositions qui soient vraiment très personnelles ». Et pourquoi pas, faire une tournée dans les Outre-mer, avec un passage obligé à Saint-Barth. « Aller jouer au théâtre à Saint-Barth, ce serait vraiment super », se projette le comédien. Mais Arthur est patient. Avant de se lancer dans d’éventuelles démarches, l’artiste tient à monter un projet solide, pour que ses parents, comme les habitants de Saint-Barth, soient fiers de lui.

Journal de Saint-Barth N°1622 du 03/07/2025

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