Saint-Barth -

Ces jeunes de Saint-Barth qui choisissent de revenir

À Saint-Barthélemy, l’île aux eaux turquoises et à la vie insulaire unique, un mouvement discret mais significatif se dessine : de plus en plus de jeunes –certains diplômés, d’autres non– choisissent de revenir s’installer sur leur île natale. Malgré des opportunités nombreuses ailleurs, leurs parcours disent tous la même chose : l’appel de la maison, plus fort que tout.

Marius Dufour, 20 ans
Les pieds sur l’île, les mains dans le bois

« J’ai grandi ici, chez moi. » Marius a fait toute sa scolarité à Saint-Barth, entre l’école Saint-Joseph, le collège Mireille Choisy et la Mini School. Il part ensuite à Arcachon pour préparer un bac général, mais comprend rapidement que ce parcours ne lui correspond pas. « J’avais envie de concret, de travailler avec mes mains », explique-t-il. De retour sur l’île, il découvre la menuiserie et s’oriente vers un bac pro. « Les deux ans en France m’ont permis de voir ce que je voulais… et surtout ce que je ne voulais plus », confie-t-il. Aujourd’hui, il rêve d’un quotidien simple, libre, loin des clichés dorés associés à Saint-Barth. « Je vis très différemment de l’image qu’on peut avoir de l’île, souligne-t-il.  Il y a ceux qui font la fête, qui vivent le côté clinquant, et moi je suis plus surf, pêche, profiter de l’île que je connais vraiment. »
Pour lui, rester ici est un vrai choix, même si ce n’est pas toujours simple. L’accès au logement est l’un des principaux obstacles. « On a 20 ans, on a grandi ici, nos parents sont là depuis 30 ans… et on ne peut même pas se payer un studio. » Côté professionnel aussi, il faut se battre : « Il y a déjà beaucoup de concurrence, reconnait le jeune homme. Beaucoup sont installés depuis des décennies et ont presque le monopole. C’est compliqué de se faire une place, mais c’est envisageable. » Sa vision pour l’île est claire : « Il faut faire perdurer les avantages que nous offre l’île, explique-t-il. Elle vit du tourisme, et il faut réussir à garder cette clientèle fidèle, celle qui a ses habitudes ici depuis des années. » Il poursuit : «essayer de reproduire Saint-Tropez ou Monaco ne sers à rien. L’île a sa propre identité, et il ne faut pas la perdre ni oublier d’où on vient et ce qu’on lui doit », conclut Marius.

Ylona Lenoir, 24 ans
Partir pour mieux revenir

« À chaque fois que je m’installais quelque part, je cherchais un petit Saint-Barth… mais je ne l’ai jamais trouvé. » Ylona a grandi sur l’île, de la petite section jusqu’à la 3e. Une enfance douce et libre, rythmée par la mer, les amis, les animaux. Puis, à l’adolescence, le besoin d’ailleurs se fait sentir : « Je n’y arrivais plus vraiment à m’y épanouir, j’avais envie de bouger », explique-t-elle. Elle part à Montréal pour finir sa scolarité au lycée français Stanislas, puis enchaîne avec trois ans d’université en communication. « J’ai adoré le Canada, mais au bout de six ans, j’avais l’impression de tourner en rond » glisse-t-elle. Ylona s’installe alors à Milan pour un master en management du luxe à l’Instituto Marangoni, puis à Paris pour son stage de fin d’études.
Toujours dans la mode. Mais le déclic ne vient pas. C’est en revenant à Saint-Barth, « juste pour quatre mois », qu’elle accepte un poste chez Dior. « Au début, c’était temporaire, déclare-t-elle, et puis ils m’ont proposé un CDI. Ça m’a semblé évident. » Aujourd’hui, elle vit chez ses parents «les loyers, ce n’est pas possible toute seule » mais elle ne voit plus son avenir ailleurs. « Ici, j’ai tout : ma famille, mes animaux, mes amis… et je travaille dans la mode. Pourquoi repartir ? » s’exclame Ylona. Elle pense aussi à l’avenir : « J’ai envie de créer quelque chose ici. Il y a de la place pour innover, ajoute-t-elle. Un jour, j’aimerais élever mes enfants sur cette île qui m’a offert une enfance si heureuse. »

Malkim Rounaix, 20 ans
Enraciné sans s’attacher

Malkim a 20 ans, et vit à nouveau à Flamand, là où il a grandi. Après une scolarité à Gustavia, il part à Biarritz pour un bac général. Mais après le bac, tout se fige. « Je ne savais pas quoi faire, raconte-t-il. Mes parents ont tranché pour moi : retour à la maison. » De retour, il rejoint naturellement l’entreprise familiale. Son père est jardinier. Malkim commence à l’épauler et découvre un monde qui le rapproche de ses passions : la nature, les plantes, le travail en extérieur. « J’ai toujours aimé ça », ajoute-t-il. Il vit chez son père, et rêve d’indépendance mais ne se projette pas vraiment sur le long terme. « Je ne sais pas où je serai dans 30 ans. Ça dépendra de l’avenir ou du hasard. » alors il pense aussi à la mer. Il envisage une formation pour obtenir son capitaine 200 et pouvoir ainsi proposer des charters. « L’océan, lui, est toujours là », affirme-t-il. Malkim avance sans plan figé, essayant de construire son chemin sur son île.

Serena Grimaldi, 23 ans
Le luxe de revenir

« Avant, j’avais besoin de changement. J’avais l’impression de tourner en rond. » Serena aussi a eu besoin de partir. Lycée à Biarritz, service civique en école élémentaire, puis Bachelor en marketing de luxe à Bordeaux, et enfin un Master à Paris. Elle multiplie les expériences professionnelles : développement produit, trade marketing dans les cosmétiques, et un stage marquant chez Hermès, en tant qu’assistante cheffe de projet en communication. « J’étais dans une spirale métro-boulot-dodo », confie-t-elle.
En février, une offre tombe : le Comité du Tourisme de Saint-Barth. Elle n’hésite pas. « C’était une opportunité rare : allier mes compétences et mon attachement à l’île. » Ce retour, qu’elle n’avait pas anticipé, lui permet de redécouvrir la vie locale sous un nouveau jour. « En grandissant, je me rends compte que la qualité de vie ici est un véritable luxe », explique Serena. Elle reste consciente des défis. « Ce n’est pas toujours simple de trouver sa place », admet-elle. Pourtant, elle s’accroche. « J’apprends tous les jours, j’évolue. Et j’aime contribuer à faire rayonner l’île », sourie-t-elle. Pour Serena, ce retour n’est pas un recul : « J’ai fait un choix raisonné. Ici, je suis à ma place. »

Antonin Scioux, 20 ans
Rester, c’est vivre libre

Antonin est arrivé à Saint-Barth à l’âge de 5 ans. Il y a grandi, passé son bac en passant ses épreuves à Saint-Martin. « Je l’ai eu, et voilà quoi », dit-il dans un sourire. Pendant un temps, il a pensé partir. Passionné de planche à voile, il envisageait un sport-étude en métropole. « J’avais déjà des amis là-bas, raconte-t-il. Mais en troisième, avec le Covid, j’ai vu qu’ils n’avaient pas la liberté de naviguer, de faire plein de choses. Moi ici, j’avais cette liberté. » C’est un tournant. Il décide de rester, convaincu qu’il y a ici plus d’espace pour vivre… et pour construire. « Côté travail, il y avait des opportunités. Et j’ai su ce que je voulais faire », confie Antonin.
Aujourd’hui il est manager de villa, principalement sur la maintenance et le bon fonctionnement des lieux. Dès sa dernière année d’étude, il commence à se réinsérer dans le monde professionnel. « Je me suis remis dans le bain, tranquillement, explique-t-il. Je voulais avancer en gardant le rythme. » Aujourd’hui, il se projette à long terme. « Dans mon métier, c’est totalement possible. Il faut juste garder des prix raisonnables. On a une clientèle assez luxueuse, mais faut rester humble. » Antonin aime l’île, pour son atmosphère autant que pour son énergie. « Je croise beaucoup de gens de passage, ça me permet de diversifier. » Et s’il fallait résumer son attachement en un mot ? Il le dit sans hésiter : «La liberté. »

Anna Tretiacoff, 21 ans
Revenir pour mieux se retrouver

« Je savais plus vraiment où est-ce que je voulais être, je m’étais un peu perdue. »  Pour Anna, revenir à Saint-Barth, c’est avant tout une quête d’équilibre. Après un bac général à Toulon, elle rentre chez elle, enchaîne les expériences dans le prêt-à-porter – Poupette, Zadig & Voltaire, Vilebrequin – puis repart pour Paris, où elle commence une formation en marketing et management du luxe. Mais rapidement, elle sent que ce n’est pas pour elle : « J’ai fait une année d’études, puis j’ai arrêté. J’ai repris le monde du travail », confie-t-elle.
Deux saisons à Saint-Tropez la confrontent au rythme intense des ventes saisonnières. « Ça m’a formée, souligne-t-elle, mais ça m’a aussi poussée à me demander où je voulais construire ma vie. » C’est en Inde, lors d’un voyage, qu’elle prend du recul. À son retour, elle ressent un besoin vital. «J’avais une envie urgente de rentrer à la maison », affirme-t-elle. Aujourd’hui, elle travaille chez Bvlgari et vit seule sur l’île, une situation qu’elle considère comme un privilège. « Il est très difficile pour les jeunes locaux de se loger, déplore-t-elle. On se retrouve parfois à devoir vivre comme des saisonniers, avec des jobs logés qui ne nous conviennent pas. » Malgré tout, elle garde une vision claire : « Il faut gagner des sommes astronomiques pour vivre convenablement, mais moi je veux construire ici, ouvrir un jour une galerie d’art. » Elle sourit, confiante : « J’ai beaucoup d’amis qui sont artistes, dans le graphisme, la peinture, la joaillerie, et ajoute en riant, moi qui suis très bonne vendeuse, je pourrais tout vendre à n’importe qui ! »

Journal de Saint-Barth N°1622 du 03/07/2025

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