Saint-Barth -

Des habitants de Corossol ont enlevé les épaves de la plage et les ont entassés sur la route, mardi matin, afin d’exprimer leur colère vis-à-vis d’une situation « qui traîne depuis des mois », assurent-ils.

A Corossol, le bras de fer vire à l’absurde

Mardi matin, des habitants de Corossol ont débarrassé la plage des épaves et des batteries usagées qui la jonchent depuis des mois, avant que les services techniques ne les déposent à la fourrière. En fin de journée, un camion privé mandaté par la Collectivité, encadré par la gendarmerie et la police territoriale, a rapporté la cargaison sur la plage. Stupeur et colère des habitants du quartier.    

«Poubelle », « Modi cochon », plusieurs embarcations abandonnées ont été dignement rebaptisées mardi matin par des habitants du quartier de Corossol. Dès 6h30, ils sont une dizaine à lancer une opération d’évacuation de la plage. Excédés, assurent-ils, par l’absence de réponse de la Collectivité et de la police territoriale face à un problème récurrent, ils ont empilé toutes les épaves de zodiacs et de kayaks sur la route, devant l’entrée de la plage. Coup de colère ou coup de semonce, il a toutefois été entendu par la Collectivité. Mais celle-ci n’a pas apporté la réponse espérée par les habitants.

Le retour des épaves sous escorte
Après leur manifestation matinale, les résidents ont embarqué toutes les épaves et les batteries usagées abandonnées sur la plage pour les déposer à la fourrière. « A 10 heures la plage était propre », constate un habitant. Mais à 18h30, une surprise. Un camion d’une entreprise privée, escorté par une patrouille de la gendarmerie et une autre de la police territoriale, arrive à Corossol avec les épaves et les batteries ramassées le matin.
« Ils ont tout déchargé sur la plage, s’indigne un jeune habitant. Nous, on fait les choses à visage découvert parce qu’on veut que la plage soit propre pour nos enfants et la population, alors on ne comprend pas. » Une incompréhension mâtinée d’exaspération et de colère. « On nettoie, on apporte tout à la fourrière et le soir on nous remet tout sur la plage, c’est n’importe quoi, s’emporte un homme. Maintenant, s’il faut monter d’un cran, on montera d’un cran. » La Collectivité a toutefois apporté une explication au retour des épaves.

« La procédure n’a pas été respectée »
« Les bateaux ont été enlevés illégalement avant d’être utilisés pour bloquer la voie publique, indique le service communication de la Collectivité. Il existe une procédure pour l’enlèvement des bateaux et elle n’a pas été respectée. Nous avons ici des particuliers qui n’agissent pas dans les règles. Rien ne prouve que ces bateaux sont abandonnés. La procédure implique de lancer un appel à la population pour que les propriétaires se manifestent. » Ce que la Collectivité entend faire dans les prochains jours. « Nous allons demander à tous les propriétaires de bateaux de l’île, pas seulement à Corossol, de se déclarer, affirme le service communication. Si certains sont abandonnés, ils seront enlevés. La Collectivité ne peut pas mettre tout en place en dix jours. Il faut que les habitants fassent preuve de patience. » Une vertu qui semble toutefois avoir quitté certains habitants du quartier, lassés de trop attendre.

Prochaine étape, la Collectivité
« Ça fait des mois que ça traîne, constatait dans la matinée de mardi, un habitant particulièrement agacé. On commence à grignoter du terrain. Et ce sera comme ça jusqu’à ce qu’une décision soit prise. Aujourd’hui on fait comme ça mais la prochaine étape, ce sera devant la Collectivité. » Plus qu’une menace, il s’agit d’une promesse adressée aux élus territoriaux. De fait, l’opération matinale n’est que l’illustration d’un ras-le-bol déjà exprimé lors de la réunion publique organisée le jeudi 28 mai dans le quartier par la Collectivité. « On vient à cette réunion et les élus peuvent voir que des choses ne vont pas bien à Corossol, rappelle un homme. Et derrière on nous fait un coup comme ça, qu’est-ce que ça veut dire ? »
Les habitants dénoncent le manque de civisme de certains occupants des dizaines de voiliers qui mouillent dans la baie. « Il n’y a jamais eu autant de voiliers ici, peste un résident. Ça a commencé quand la Collectivité a mis des barrières pour accéder à son parking pour empêcher les gens des voiliers de s’y garer. » En théorie, les propriétaires des navires doivent « faire clearance » (lire encadré) auprès de la capitainerie à leur arrivée. Si un corps-mort est disponible, il est attribué au voilier. « Le problème est simple à la base, mais il n’y a aucun contrôle sur ces gens », affirme ce résident. Ce qui entraîne apparemment des comportements inappropriés.

Zodiacs abandonnés, batteries jetées à l’eau
« Il y a dix jours, on voit un couple qui débarquent sur une annexe neuve et une autre pourrie, raconte un homme. Là, ils enlèvent le moteur sur la pourrie, l’abandonnent sur la plage et repartent. Ils disent qu’ils vont revenir mais dix jours après, c’est toujours là.  Evidemment pour eux c’est pratique, ça leur évite d’aller jusqu’à Public ou Gustavia et surtout de payer la décharge. Mais ce n’est pas forcément que les gens des bateaux, peut-être aussi d’autres quartiers. » Et si les épaves s’amoncèlent le long de la plage, il ne s’agit que d’une partie des incivilités constatées.
De fait, des batteries sont régulièrement retrouvées sur le ponton, le sable ou au fond de l’eau. « Parfois on part en mission de plongée avec des jeunes et on ramasse des batteries usagées sous les voiliers, constate un habitant. Ça fait beaucoup de déchets pour une si petite plage... » Par ailleurs, la question du stationnement refait inévitablement surface. « Les gars louent les cabines des bateaux et quand les gens débarquent ils ont leur voiture qu’ils garent là, n’importe où, peste le résident. Mais moi, si demain je veux construire, on va m’obliger à faire une place de parking. »
Un homme résume l’état d’esprit général en quelques mots : « On a un gros ras-le-bol, on ne sait plus quoi faire mais il vient un moment où tout ça ne passe plus. » Au point d’envisager sérieusement d’aller entasser les épaves abandonnées et les autres déchets récoltés sur la plage ou au fond de l’eau sur le parvis de la Collectivité. « Il faut que tout ça s’arrête », lance un jeune habitant. Nul doute que le retour des épaves et des batteries sur la plage ne va pas contribuer à atténuer sa détermination.

La petite corvée de « clearance »
Si les bateaux à voile sont relativement autonomes et libres de mouiller sur une nouvelle île, le système de clearance est obligatoire afin que les contrôles d’immigration soient réalisés par chaque pays pour les personnes débarquant depuis un bateau à la voile. Un peu comme les contrôles de douane et d’immigration lors d’une arrivée dans un aéroport. Les règles veulent que seul le capitaine du bateau est temporairement autorisé à mettre les pieds à terre dans un nouveau port pour réaliser la clearance qui implique notamment de présenter les pièces d’identité de l’ensemble de ses passagers et des membres de l’équipage. Ceux-ci ne sont seulement autorisés à descendre du bateau qu’après l’obtention de la clearance.

Journal de Saint-Barth N°1427 du 10/06/2021

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