Saint-Barth -

Choc frontal entre les transporteurs et la Collectivité

Il ne doit s’agir que d’une simple réunion d’information. De fait, l’affaire se présente plutôt bien puisque plus d’une vingtaine de professionnels ainsi que des particuliers ont répondu à l’appel de la Collectivité. Au cœur de la réunion, ils seront près d’une trentaine. En ce jeudi 22 septembre, dans la salle des délibérations de l’hôtel territorial, le président Xavier Lédée entend rappeler les règles de sécurité en vigueur sur l’île pour les transporteurs de marchandises diverses et variées. A ses côtés, Dimitri Lédée, élu  de la majorité et président de la commission des affaires économiques, Alexandra Questel, conseillère territoriale d’opposition et membre du conseil exécutif, ainsi que le chef de la police territoriale. Si les échanges s’amorcent sur un ton des plus courtois, l’atmosphère du débat ne tarde pas à prendre une tournure moins aimable.

Quand la règle s’oppose à la pratique
Dans un premier temps, Dimitri Lédée rappelle que « le secteur du BTP (bâtiments et travaux publics) n’est pas le seul concerné » par la question du respect des règles de sécurité sur les routes de l’île. « Pour les professionnels comme les particuliers, tous les chargements devront être sécurisés, explique avec une certaine fermeté l’élu de la majorité. Les gabarits et le poids des véhicules doivent aussi être surveillés. On ne peut plus continuer à laisser les camions être trop chargés. » Si les participants acquiescent et n’expriment aucune hostilité apparente vis-à-vis de cet état de fait, certains transporteurs évoquent des aspects pratiques et techniques.
La taille des camions, celle des marchandises avec des végétaux ou des matériaux comme des tuyaux qui dépassent parfois les six mètres de long, etc. « Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, des chargements dépassent en longueur ou sur les côtés, remarque un homme. Ça ne veut pas dire que le transport ne se fait pas en toute sécurité. » Son voisin s’interroge : « Quand ça dépasse, que fait-on ? On organise à chaque fois un convoi exceptionnel ? Donc ce sera le cas pour chaque débarquement de conteneurs de tuyaux. A ce rythme, on va mettre une semaine à décharger un seul conteneur.» Le président Lédée rétorque : « Je vous le dis, la Collectivité s’adaptera à vos contraintes. » Le message semble limpide et est le suivant : organisez-vous ! Le ton des échanges commence alors à se durcir.

« On a fait preuve de souplesse »
Dimitri Lédée reprend la parole et l’exerce avec une autorité péremptoire. Il lance aux transporteurs : « Je vous conseille vivement de vous poser la question de savoir comment il est possible de vous adapter à la réglementation. La population veut du changement. Et ce n’est pas à la population de s’adapter mais à vous. Il y a des règles. » La discussion s’oriente sur le bâchage des camions pour empêcher des marchandises de s’échapper et de se répandre sur la chaussée. « Personne n’a dit que c’était obligatoire pour tout », rappelle Xavier Lédée. Le sujet soulève de nombreux commentaires et révèle une incompréhension entre les transporteurs, concentrés sur des aspects pratiques et techniques, et la Collectivité, arc-boutée sur la réglementation.
Un professionnel tente de résumer la situation. « J’ai bien compris l’idée de cette réunion, que les mesures allaient être radicales et qu’on va devoir s’y conformer, mais on a besoin de temps pour sécuriser nos camions et former nos équipes car on a un délai très court pour se préparer », plaide-t-il. Xavier Lédée réplique en donnant lecture d’un arrêté territorial qui fixe l’obligation de sécurisation pour les transports de marchandises. Un arrêté daté de... janvier 2007. « On est quand même large en terme de mise en application, ironise-t-il. On a un arrêté et vous vous demandez s’il va être appliqué ? Prenez vos mesures ! » Dimitri Lédée enchaîne : «C’était dans notre programme et on va l’appliquer. On vous envoie un courrier, on organise une réunion et on reparle de la même chose ? Vous vous mettez en tête que ça va changer mais ça ne changera pas. » Et Xavier Lédée d’insister : « Ça fait maintenant six mois que l’on est en place. On a fait preuve de souplesse. Aujourd’hui, on vous rappelle une règle générique. Si on voit qu’il faut l’adapter, on avisera. Mais on vous dit de bien regarder les règles car elles vont être appliquées. »

La menace d’une manifestation
Le débat se poursuit mais les arguments avancés par les transporteurs ne font guère mouche et la réunion tourne parfois au dialogue de sourd. « C’est facile de nous imposer des règles mais il faut voir comment on travaille », peste un professionnel. Un autre s’essaye à la preuve par l’exemple : « Quand on reçoit un palmier de neuf mètres de long et au cœur large de 1,8 mètre, on fait comment ? » Dimitri Lédée lui répond, sans sourire : « Il n’y a qu’à commander des palmiers plus petits. » Ou la parfaite illustration d’une incompréhension mutuelle.
Au sortir de la réunion, les échanges se poursuivent devant l’hôtel de la Collectivité. Non sans une certaine véhémence. Et un entrepreneur de prévenir : « Rémy de Haenen, Charles Querrard, Daniel Blanchard, Bruno Magras, aucun n’a eu droit à une manifestation des transporteurs. Il faut se méfier parce qu’il n’est pas impossible que, bientôt, tous les camions viennent bloquer Gustavia. » Une menace sérieuse entendue par Dimitri Lédée qui répond : « Et bien vous irez expliquer à la population que vous manifestez parce qu’on vous demande juste de placer des bâches ou des filets quand c’est nécessaire... » De terrain d’entente, il n’a pas été question.

« Les temps d’attente sur le port vont s’allonger »
Directeur du port de Gustavia, Ernest Brin a assisté à la réunion entre les transporteurs et les élus de la Collectivité. En tant que spectateur puis comme intervenant. « En tant que directeur du port, j’ai un souci, a-t-il lancé. Si les importateurs sont ralentis lorsqu’ils viennent chercher les marchandises, je ne vois pas comment on va faire pour dépoter les barges. Avant, il nous fallait cinq à six heures. Maintenant, avec des barges de 5.000 tonnes, il nous faut huit heures. » Et le directeur de souligner le fait que le port compte 822 escales de cargos par an, avec 125.000 tonnes de remblais traitées et 17.000 tonnes d’exportation de graviers recyclés. « Forcément, les temps d’attente sur le port vont s’allonger », prévient-il.

 

Journal de Saint-Barth N°1487 du 29/09/2022

Choc frontal entre les transporteurs et la Collectivité
Tessa Thyssen en or