Sur terre, il n’est pas aisé d’imaginer le quotidien des skippers. Certes, l’installation du satellite Starlink sur les Figaro 3 qui permet de recevoir des images en continu, ou presque, donne accès à une nouvelle dimension de cette course. Mais les vidéos et les vocaux ne sont pas encore capables de retransmettre l’humidité qui s’infiltre partout dans le bateau, le bruit assourdissant du vent qui siffle sur la coque ou encore cette adrénaline indescriptible lorsque le navire glisse sur les vagues. Pendant des mois, Cindy Brin s’est préparée avec détermination pour cette aventure. « Elle s'est donné les moyens, souligne Francis Le Goff, directeur de la course. Elle est venue en Bretagne pour pouvoir s'entraîner. Elle a même inscrit ses enfants à l'école dans l’Hexagone. » Mais il y a une chose à laquelle Cindy ne s’attendait pas : les montagnes russes émotionnelles. « Ça va faire fleur bleue ou chochotte, mais toutes les émotions sont décuplées sur le bateau et ce n’est pas simple », confie la native de Saint-Barthélemy. Malgré la grande complicité qui règne entre les deux coéquipiers, le fait est qu’ils ne se connaissent que depuis quelques mois. « C’est moins facile de se livrer à quelqu’un que l’on ne connaît pas depuis longtemps, même si on s’entend vraiment bien », ajoute Cindy. Rajoutez à cela le mal de mer et des conditions de navigation plutôt instables et le cocktail est détonnant.
« Le mal de mer, on le subit »
Le duo Cap Saint-Barth a été touché au début de l’aventure par le mal de mer. Si le Breton s’en est remis assez vite, Cindy a été malade pendant plus de quatre jours. « La seule fois où j’ai été malade en mer c’est quand j’étais enceinte », s’étonne-t-elle. La monitrice de voile partait donc sereine malgré les avertissements d’Éric Péron : « Si tu n’as pas le mal de mer, tu l’auras forcément sur la transat. » Pendant les premières heures de course, tout se déroule bien. Mais lorsque l’adrénaline et le stress retombent, Cindy est prise par les haut-le-cœur. «Le mal de mer on le subit, parce que les manœuvres n’attendent pas, le matossage n’attend pas, détaille Cindy. On n’est pas en forme mais on le fait quand même et une fois qu’on a fini on court vomir dehors. Et on est reparti. » Inutile de dire que pendant ses quatre jours, Cindy n’avait pas beaucoup d’appétit.
Elle déclare avoir mangé environ quatre repas dans ce laps de temps. Pour se sustenter, le duo ingère des plats lyophilisés, qu’ils ne prennent même pas la peine de réchauffer. « Il faut aller chercher le réchaud au fond du bateau qui prend énormément de place, rapporte Cindy. C’est un gain de temps et d’énergie pour nous. » Et sur le bateau, la gestion de l’effort est primordiale. Pour être le plus performant possible, Thomas André et Cindy tentent de dormir le mieux possible. Contre toute attente, Cindy confie « dormir relativement bien ». « Je ne pensais pas dormir aussi bien dans un bateau, dans des conditions pareilles », admet-elle. Même si le matelas est très agréable, les conditions ne sont pas forcément réunies pour un sommeil réparateur. « Le bateau bouge, ça vibre, illustre Cindy. On entend tout ce qui se passe dehors donc quand les vagues tapent, on a l’impression qu’il y a un objet qui a fracassé le bateau. C’est vite violent. » Le duo semble toutefois s’y être fait, et attaque les quarts en pleine forme.
« Je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie »
Malgré tout, la meilleure sieste du monde n’était pas suffisante pour les préparer à la « nuit de folie » qu’ils ont passée entre samedi et dimanche : « En termes de frayeur, sur une échelle de 1 à 10, je devais être à 100 ! Je pense que je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie. » L’équipage Cap Saint-Barth a atteint l’étape de La Palma sous grand spi. Selon les fichiers, le vent devait se renforcer à 27 nœuds. « Finalement, c’est monté crescendo. On est parti au tas trois ou quatre fois et j'ai trouvé ça d'une violence extrême. Même si Thomas n'a pas trouvé que c'était si violent, raconte Cindy. On a dû partir au tas une dizaine de fois avant d'affaler le grand spi, à deux, et on a failli tout péter ! » Pour la monitrice de voile qui n’avait jamais navigué à plus de 25 nœuds sous spi, les conditions étaient extrêmes : « Personnellement, à certains moments j'avais l'impression que le bateau allait se désintégrer ! » Cindy assure toutefois qu’il ne s’agit que de son point de vue, et que son coéquipier Thomas André qui a plus d’expérience a vécu cet épisode différemment.
Entre doutes et épiphanie
Une fois que le duo a repris les choses en main, et que la pression est retombée, Cindy a craqué : « Je me suis mise à pleurer comme une madeleine. » Dans une situation de crise comme celle-ci, la tension peut monter entre les coéquipiers. « Les esprits se sont un peu échauffés pendant les manœuvres, retrace Cindy. Après, tu repasses tout dans ta tête : tu te dis que t’es pas bon, tu remets tout en question : la légitimité du projet, pourquoi c’est toi qu’on a choisi. » Cindy est passée par de nombreux moments de doute dans cette aventure. Surtout lors des premiers jours de navigation où la native de l’île prenait vite peur lorsque le bateau prenait de la vitesse. « Ça ne fait pas longtemps que je fais du Figaro, et à côté de moi, il y a des gens qui font ça depuis des années et qui sont des professionnels, analyse-t-elle. Ce n’est pas simple de faire tout ce qu’on peut et de voir les bateaux partir par devant. Moralement, c’est difficile. » Au bout d’une semaine de course, la bizuth a doucement pris confiance en ses capacités, sous le regard bienveillant de son coéquipier. « Cindy engrange de plus en plus de milles à la barre, ça va de mieux en mieux et elle rivalise de plus en plus avec les autres, constate Thomas André. C’est trop bien de la voir progresser et prendre confiance. Au début ce n'était pas simple pour elle et là, on sort d’un quart où elle a allumé tout le monde ! » Peu importe la recette de cette épiphanie, ça a l’air de fonctionner puisque le duo a grignoté l’écart avec leurs adversaires en s’accrochant à la troisième place du classement au début de la semaine. Et Cap Saint-Barth ne compte pas s’arrêter là. « On a bien l’intention de donner le meilleur de nos capacités, lance Cindy. Il faut juste croire un peu en notre bonne étoile, et je suis convaincue qu’on en a une. » Si elle continue de les guider avec la même sagesse et qu’elle se conjugue à leur détermination, l’arrivée au port de Gustavia promet d’être homérique.
Sur le bateau, on n’oublie pas l’apéro Risotto cuisiné par Thomas de Dinechin à bord d’Almond pour Pure Ocean). Pour résister aux épreuves que leur réserve l’océan Atlantique, chaque équipage de la Transat Paprec a sa petite technique. Pour beaucoup, un bon plat chaud est synonyme de réconfort. Après le passage sportif de La Palma, certains se sont offerts leur premier apéro, comme de Martin Le Pape et Mathilde Géron (Demain) qui avaient pris soin d’acheter des produits locaux aux producteurs de Concarneau. On peut trouver de tout dans les plats lyophilisés puisque Pier-Paolo Dean (Les Banques Alimentaires), a savouré « son péché mignon », un aligot à la tomme, quand Anaëlle Pattusch et Hugo Cardon (Humain en action) ont dégusté une tartiflette. Certains skippers s’essaient même à la cuisine avec leur petit réchaud. Laure Galley et Kévin Bloch (DMG MORI Academy) se sont préparés un petit-déjeuner de champion dès le deuxième jour de course. Au programme : des toasts et des oeufs brouillés. Thomas de Dinechin (Almond pour Pure Ocean) a même cuisiné un risotto. Mais tout le monde n’a pas l’âme d’un chef. Cindy et Thomas se contentent de leurs plats lyophilisés, sans même les réchauffer ! « On est des flemmards », s’amusait le Breton sur le ponton de Concarneau. L’essentiel est que les deux équipiers soient sur la même longueur d’onde. Pier-Paolo Dean (Les Banques Alimentaires), a savouré « « son péché mignon », un aligot à la tomme.
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