Le 9 octobre est un jour férié à Saint-Barthélemy, qui commémore l’abolition de l’esclavage décrétée par le roi de Suède en 1847. L’occasion de parler de la grande histoire à travers une petite histoire, celle de Joseph Richardson, racontée grâce au travail de recherche effectué et publié sur le site Saint-Barth Islander.
En 1821, 5.000 personnes vivent à Saint-Barth, alors suédoise. La plupart sont installées à Gustavia, selon le recensement de cette année-là qui différencie les blancs, les esclaves et les libres de couleurs (soit des esclaves affranchis, soit des descendants d’esclaves affranchis). En 1821 donc, l’île compte 1.911 esclaves, plus de femmes que d’hommes ; 1.872 blancs répartis à peu près équitablement entre ville et campagne, et 1.220 libres de couleurs, principalement installés à Gustavia. Joseph Richardson est de ceux-là.
L’île est gouvernée par Johan Norderling. Côté militaire, il y a des soldats suédois en garnison au fort Gustaf, et des milices citoyennes : une pour le Vent de l’île, une Sous le Vent, et deux à Gustavia.
Le 4 juillet 1821, Norderling réunit les quatre milices de Saint-Barthélemy au fort Gustaf pour une célébration de la famille royale. Mais les esprits s’échauffent entre blancs et noirs, et une bagarre éclate. Joseph Richardson, milicien âgé d’une trentaine d’années, est tué. Né à Anguilla vers 1785, ce tailleur de métier était donc un homme libre, mais on ignore s’il l’est devenu après avoir été esclave ou s’il est né sans entrave.
Son frère Samuel Richardson, charpentier de son état, est mécontent des suites données à cette affaire. Il envoie une lettre au roi de Suède, reçue à Stockholm en 1823, deux ans après le meurtre. Pour lui, si l’enquête n’a rien donné, et si personne n’a été condamné, c’est parce que la victime est noire. « Lors des célébrations de l’anniversaire du Prince Royal, la deuxième compagnie de la milice de la ville, après avoir été renvoyée, s’est retrouvée (ainsi que je le pense) sous l’influence de l’alcool (donnée par le Gouverneur) à se quereller avec l’orchestre, en conséquence de quoi une bagarre commencée par des personnes blanches (ainsi qu’il se dit) de la manière la plus violente envers les autres, et en conséquence de quoi, Joseph Richardson (mon infortuné frère) fut tué, et quatre ou cinq autres personnes de couleur blessées », écrit Samuel Richardson. « Toutes les personnes impartiales avaient des raisons d’espérer, une fois que ce fâcheux incident fut connu du Gouverneur, qu’une autopsie serait rapidement ordonnée sur le corps de Joseph Richardson. Mais, à la surprise et au plus grand étonnement de l’île, ce ne fut fait que le lendemain à quatre heures de l’après-midi, lorsque le corps était déjà en putréfaction (à cause du climat). » Le frère en deuil soulève d’autres faiblesses de l’enquête, et conclut : «Depuis le début de cette terrible affaire, le Gouverneur a très négligemment traité tout ça … »
Lors du procès, toujours selon Samuel Richardson, un certain Peter Petersen, ami proche de Johan Norderling, a reconnu avoir enfoncé son épée dans le ventre de la victime. « Je prie humblement que votre Majesté ordonnera gracieusement que l’affaire soit rouverte et menée à son terme – et que Mr Peter Petersen (qui selon les minutes de la cour a admis être coupable d’avoir levé son épée sur Joseph Richardson avant qu’il ne tombe) soit arrêté et détenu, avant que son innocence ne soit prouvée. »
A la lecture de cette longue lettre, le roi écrit au gouverneur Norderling pour lui demander des explications. Ce dernier fait parvenir à Stockholm le compte-rendu du procès, et commente : « Je prie votre Majesté de croire que moi-même et le Conseil avons fait tout ce qui était possible pour découvrir le meurtrier, ou, s’il ne mérite pas ce nom, celui par qui, soit en se défendant ou pour arrêter la fureur du défunt, le malheureux coup fut donné. » Il donne sa version des faits : «Mon discours terminé, la musique commença, mais quelques brutes de la compagnie des hommes de couleurs, supposés se trouver sur la batterie Carl, arrivèrent en se plaignant que l’orchestre n’était pas avec eux. Excités par l’alcool, ils commencèrent à se battre avec les musiciens ».
Dans la succession,
un esclave de 40 ans
Les minutes du procès compilent les témoignages de multiples témoins, plus ou moins proches de la scène et des protagonistes, et présents le jour du meurtre, le 4 juillet 1821. C’est assez confus ; on sent surtout qu’il y avait beaucoup d’alcool et une tension très forte entre blancs et noirs. Norderling conclut son courrier au roi ainsi : « Il y avait bien des suspects, mais rien de suffisamment sérieux.»
Dix-sept jours après le décès de Joseph Richardson, un inventaire de ses biens est effectué en présence de sa mère et de son frère. Joseph Richardson possédait un esclave, Jack, 40 ans, né en Afrique, dont la valeur est évaluée à quatre-vingt dollars. L’ensemble des marchandises et affaires de sa boutique de tailleur est listé (tissus, gilets, boutons, etc.). L’inventaire mentionne aussi un cheval noir, d’une valeur de 90 dollars, et 58 dollars en numéraire trouvés dans une malle. Un débat agite les protagonistes de l’inventaire, qui soupçonnent qu’on lui a volé de l’argent : Joseph Richardson économisait pour acheter la liberté des enfants esclaves de sa compagne, une Saint-Martinoise. L’affaire ne va pas plus loin, et les biens sont partagés entre les uns et les autres.
L’esclavage sera aboli 26 ans plus tard.
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Récits
L’histoire de Joseph Richardson est tirée du site www.saintbarthislander.com, que nous remercions pour sa mise à disposition, en avance, du sujet. Ce site raconte les histoires d’habitants du Saint-Barth d’antan, des familles, des esclaves... Hier, il publiait celle d’Elizabeth Gumbs, propriétaire qui s’est mobilisée pour l’émancipation de l’un de ses propres esclaves, George. Autre article sur Vincent, esclave émancipé contre paiement de quarante dollars en 1846. Il appartenait à Mme Duzant, épouse de M. Déravin. La première écrit, sur l’acte d’émancipation de Vincent : “Bien qu’âgé, il est en bonne santé, industrieux et de bonne humeur, il ne sera pas une charge pour la communauté”. Vincent épouse ensuite une certaine Jeanne Questel de Saline (pas forcément une Saint-Barth, elle peut avoir hérité du nom de son propriétaire), avec qui il avait déjà eu des enfants qui ont ainsi été légitimés. Deux d’entre eux au moins seront aussi émancipés de leur esclavage. Ce couple formé par Jeanne et Vincent engendrera une très grande famille à Saint-Barth, dont la plus célèbre descendante n’est autre qu’Inèze Gumbs, l’accoucheuse bien aimée (JSB 1388).
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