Saint-Barth - Centre hospitalier LC Fleming

Un chirurgien orthopédiste soupçonné d’avoir exercé sans diplôme à Saint-Martin

Il aura fallu plus de dix ans, au moins quatre procédures et un courrier expédié de Guinée-Conakry pour mettre le doigt sur ce qui n’allait pas. Pourtant, depuis tout ce temps, quelque chose dérangeait au sein du Centre Hospitalier Louis-Constant Fleming (CHLCF), à Saint-Martin. Un doute planait comme un oiseau de mauvais augure au-dessus des services. Jusqu’au 24 octobre, lorsque l’établissement annonce la suspension d’un de ses praticiens, le docteur Huidi Tchero. Le chirurgien orthopédiste est soupçonné d’avoir exercé pendant une dizaine d’années sans être détenteur d’un diplôme de spécialité.

Les premières enquêtes débutent en 2012, selon un communiqué de l’Agence régionale de santé (ARS) du lundi 3 novembre qui retrace la chronologie de l’affaire. C’est du moins la date à partir de laquelle l’instance commence à être informée des remous créés par le docteur Huidi Tchero. 

Environ à la même période, il y a une dizaine d’années, un arrêté de nomination émis par l’État via le Centre national de gestion – chargé de vérifier les diplômes étrangers – fait entrer Huidi Tchero dans la liste officielle des praticiens hospitaliers habilités à exercer.

En 2018, l’ARS est de nouveau avertie, « à la suite de rumeurs concernant un praticien hospitalier chirurgien orthopédiste exerçant au CHCLF ». Le communiqué précise qu’à ce moment-là, les investigations lancées à six ans d’intervalle « n’auraient, à la connaissance de l’ARS, pas abouti ou auraient été classées sans suite. » 

Une demande de suspension d’urgence
Entre 2015 et 2016, une autre institution s’intéresse au dossier : le Conseil départemental de Guadeloupe de l’Ordre des médecins (CDOM 971). «Lorsque nous recevons les copies de diplômes étrangers, si nous avons un doute, nous pouvons saisir le Conseil national de l’Ordre des Médecins, relate le docteur Catherine Billot-Boulanger, présidente du CDOM 971 et Conseillère Nationale au titre de l'Inter Région Antilles-Guyane, contactée par le JSB le 5 novembre. C’est ce que nous avons fait concernant ce praticien. »

D’après le docteur Catherine Billot-Boulanger, le Conseil national mandate à l’époque un organisme externe indépendant. « Cet organisme a contacté la faculté de Guinée-Conakry (où le docteur Tchero est censé avoir obtenu ses diplômes, ndlr), qui a confirmé avoir bien délivré les certificats du médecin. » Pourtant, la spécialité de chirurgie orthopédique n’est enseignée dans l’université que depuis 2023. « Lorsqu’un organisme officiel qui travaille avec le Conseil national de l’Ordre indique que le diplôme a été délivré, la question de savoir si l’enseignement est bien inculqué dans la faculté ne vient pas tout de suite à l’esprit », poursuit le docteur Catherine Billot-Boulanger. 

En août 2019, toujours selon le communiqué de l’ARS, des courriers sont transmis au Conseil national de l’Ordre des médecins, suite à une information des administrateurs provisoires du CHCLF. L’Agence régionale de santé explique que le Conseil est informé « compte tenu de ses prérogatives en matière de vérification de la compétence professionnelle des médecins en exercice ». Mais le communiqué ne détaille pas l’issue de cette démarche. «C’est faux, le Conseil n’a pas été informé à ce moment-là », rétorque le docteur Catherine Billot-Boulanger. Contactée, la direction de l’hôpital de Saint-Martin n’a pas répondu à nos sollicitations avant la date de bouclage de cette édition.
Tout s’accélère à partir de mai dernier. Le Conseil de Guadeloupe de l’Ordre des médecins saisit l’ARS « afin de lancer une enquête administrative sur une éventuelle insuffisance professionnelle », précise le docteur Catherine Billot-Boulanger. En cause : le signalement d’un collectif de médecins de Saint-Martin, d’après la présidente du CDOM 971. L’Agence régionale de santé précise, quant à elle, dans son communiqué, que des clichés radiographiques sont à l’origine de cette nouvelle procédure. La direction de l’ARS peut prononcer une suspension d’urgence des praticiens si elle le juge nécessaire. 

Plusieurs inspections et procédures de vérifications
Une inspection menée par des experts indépendants se met en place. Des analyses et des entretiens sont réalisés. Mais là encore, l’enquête n’identifie pas de potentiel problème. L’ARS ne prononce donc pas la suspension.

Le CDOM 971 fait parallèlement appel à un nouvel acteur, le Conseil interrégional des Antilles-Guyane de l’Ordre des médecins, afin de constituer une commission en formation restreinte pour statuer sur les compétences du praticien. Cette commission est composée d’un expert désigné par le Conseil de l’Ordre, d’un deuxième choisi par le docteur Tchero et d’un troisième nommé communément par les deux. 

La commission rend son verdict à l’unanimité le 4 juillet. Le chirurgien orthopédiste n’est pas considéré comme dangereux dans l’exercice de sa spécialité. « Le Conseil départemental a fait appel de cette décision devant le Conseil national de l’Ordre des médecins », indique le docteur Catherine Billot-Boulanger. Ce qui pousse l’instance à contacter de nouveau la faculté de médecine en Guinée Conakry.

Les certitudes quant au parcours professionnel du docteur Tchero s’écroulent le 22 octobre. L’université de Guinée-Conakry a répondu. Le Doyen confirme que le diplôme de médecine générale est un vrai. Mais il déclare que celui produit en spécialité de chirurgie orthopédique serait un faux. Deux jours plus tard, l’hôpital Louis-Constant Fleming de Saint-Martin suspend finalement le médecin.

Une information judiciaire ouverte
S’il est avéré que le docteur Tchero n’est pas habilité à exercer dans sa spécialité, comment ce mensonge a-t-il pu passer entre les mailles des filets institutionnels pendant plus de dix ans ? Cette affaire soulève nombre de questions quant au contrôle de l’exercice médical et au système de vérification des diplômes étrangers. 

Les faits sont traités dans le cadre d’informations judiciaires, indique la procureure de la République par intérim du tribunal judiciaire de Basse-Terre, Elodie Rouchouse, le 3 novembre. « Tout médecin convaincu de faux et usage de faux fait bien évidemment l'objet d'une plainte devant la Chambre disciplinaire de première instance du Conseil interrégional Antilles-Guyane de l'ordre des médecins, assortie, dès conclusion de l'enquête actuellement diligentée par le Parquet, si ses conclusions sont positives, d'une plainte au pénal », informe le docteur Catherine Billot-Boulanger.

Le docteur Tchero fait partie des trois chirurgiens qui se relaient pour assurer des consultations d’orthopédie à l’hôpital Irénée de Bruyn. Cela relève d’une convention de mise à disposition entre le Centre Hospitalier de Saint-Martin et celui de Saint-Barthélemy, explique son directeur Éric Djamakorzian. Pour l’heure, l’établissement qu’il dirige n’a pas reçu de plainte d’habitants de l’île par rapport à la pratique du docteur Tchero. « Mais il réalise ici des diagnostics, pas des activités opératoires, poursuit le directeur d’Irénée de Bruyn. Les interventions ont lieu à Saint-Martin… »  
Pour le moment, il est impossible de savoir si les opérations chirurgicales menées par le praticien ont pu entraîner des séquelles pour les patients de Saint Barth. A Saint-Martin, selon le média local 97150, « une dizaine de patients ont d’ores et déjà déposé plainte après avoir été estropiés ».
 

 

Journal de Saint-Barth N°1638 du 06/11/2025

Gourmet festival 2025
Pitea Day
Chirurgien orthopédiste suspendu