Saint-Barth -

Hydroxychloroquine, cette molécule qui suscite l’espoir et déchaîne les passions

Le débat sur l’utilisation de l’hydroxychloroquine pour soigner le Covid-19 a franchi les frontières du milieu médical, et tout un chacun a tendance à s’improviser scientifique pour donner son avis. Explications sur ce médicament qui déchaîne les passions.

 

D’un côté le professeur Raoult, infectiologue marseillais de réputation mondiale, qui brandit avec son équipe l’hydroxychloroquine comme remède pour guérir les malades du Covid-19. De l’autre la communauté médicale qui se montre prudente et attend les résultats d’études plus poussées. Ajoutez à cela les politiques du monde entier qui s’en mêlent et donnent leur avis, les citoyens pour ou contre qui s’écharpent sur les réseaux sociaux autour d’une question qui nécessite tout de même quelques compétences médicales, et enfin un soupçon de complotisme, et vous obtiendrez une belle polémique...

 

L’étude

Il est devenu une sorte de figure contestataire de la politique de lutte contre le coronavirus : le professeur Didier Raoult a pris le contre-pied de l’exécutif et de la communauté scientifique en administrant de l’hydroxychloroquine aux malades du Covid-19 avant l’autorisation gouvernementale.

Cette décision, il l’a prise après avoir réalisé une étude sur 24 patients, dont quatre ont cessé l’essai avant terme : trois ont été envoyés en réanimation, le dernier est décédé. Une cohorte insuffisante pour prouver que la chloroquine est une molécule efficace contre le Covid-19 : on ne peut pas tirer de conclusion scientifique à partir d’un si faible échantillon. En outre, la méthodologie employée par l’équipe du professeur Raoult est très contestée dans le milieu scientifique ; elle est loin des protocoles en vigueur. Par exemple, les patients traités et les patients placebo ont été choisis par l’équipe du professeur Raoult, au lieu d’être tirés au sort. On ignore également à quel stade de la maladie les patients se sont vus administrer l’hydroxychloroquine, et le suivi n’a pas été réalisé avec la rigueur nécessaire.

 

Néanmoins, après six jours de traitement des patients avec de l’hydroxychloroquine, associée à un antibiotique (azithromycine), le virus avait disparu de l’organisme de 75% d’entre eux. Des résultats prometteurs, de l’avis général, mais tout à fait insuffisants pour ériger cette molécule comme un remède garanti contre le coronavirus Covid-19.

 

L’ hydroxychloroquine, dérivé de la chloroquine, est un médicament ancien utilisé comme antipaludique. Ses propriétés sont donc connues, et il présente l’avantage d’être peu coûteux à produire. Il peut engendrer des effets secondaires, mais pas davantage qu’un autre médicament.

 

La seconde étude

Le professeur Raoult a lancé une seconde étude sur une cohorte plus importante, dévoilée vendredi 27 mars. 80 patients se sont vus administrer l’hydroxychloroquine, associée au même antibiotique. Là aussi, les résultats sont très encourageants. Sauf qu’ils ne peuvent pas être pris pour argent comptant, une nouvelle fois, puisque les infectiologues marseillais ne les ont pas comparés à un groupe non testé. Une démarche indispensable et logique : sinon comment prouver que c’est bien la molécule qui a soigné les patients, alors que 80 à 85% des malades guérissent d’eux-mêmes ?

 

Professeur Didier Raoult

Une sacrée personnalité ! Considéré comme l’un des meilleurs mondiaux de sa science, l’infectiologue Didier Raoult balaie les critiques sur ses études et y oppose l’urgence de la situation, ainsi qu’un raisonnement de fond sur la médecine moderne, qui doit selon lui « se débarrasser des mathématiciens » pour se rapprocher des « philosophes» et des « humanistes». Il critique « l’envahissement des méthodologistes » qui «préfèrent la forme au fond ».

 

Malgré l’absence de consensus dans la communauté scientifique, Didier Raoult n’est pas le seul à administrer de l’hydroxychloroquine aux patients atteints du Covid-19. Le gouvernement a autorisé l’utilisation de la chloroquine « uniquement pour les formes sévères, en milieu hospitalier et par décision collégiale des médecins ».

 

Beaucoup de médecins à travers le monde, poussés par l’urgence, suivent le professeur Raoult malgré les entorses au protocole. L’Ordre régional des médecins de la région PACA résume leur état d’esprit : « Ne vaut-il pas mieux une déception si cette méthode échoue, que d'avoir à constater plus tard une perte de chances pour nombre de patients ? » Certains évoquent une médecine de guerre qui peut donc s’arranger avec l’éthique et le protocole.

 

Les preuves, les preuves !

Les contre ne sont pas vraiment contre, en réalité ; ils attendent simplement des résultats scientifiques plus probants, qui permettent de désigner l’hydroxychloroquine comme efficace dans le traitement du Covid-19. Beaucoup de médecins se sont élevés contre la méthode du professeur Raoult. L’infectiologue Karine Lacombe, cheffe du service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine de Paris : « Sur la base d’un essai qui est absolument contestable sur le plan scientifique et qui ne montre absolument rien quand on regarde exactement les chiffres et la façon dont il a été mené, on expose les gens à un faux espoir de guérison », explique-t-elle à Libération. « Utiliser un médicament comme ça, hors AMM, c’est-à-dire hors autorisation de mise sur le marché, en exposant les personnes qui le prennent à des complications, sans avoir vérifié les conditions de base de la chloroquine, je pense que c’est en dehors de toute démarche éthique. Même si ce médicament peut potentiellement avoir une activité, ce qui a été montré sur des données in vitro. On ne peut pas comme ça maintenant le donner à n’importe qui dans n’importe quelles conditions. Je pense que c’est extrêmement dangereux.»

 

« Le consensus scientifique est clair : ne donnez pas un médicament sans preuve, mais menez des études cliniques pour chercher ces preuves. Si les protocoles d’étude montrent que c’est positif, croyez-moi je serai le plus heureux des ministres, le plus heureux des médecins et le plus heureux des Français», a assuré Olivier Véran, neurologue et ministre de la Santé, le 25 mars sur France 5. « Mais tant que ce n’est pas le cas, je ne ferai pas de pari sur la santé des Français. » Comme indiqué plus haut, le traitement a été autorisé sous certaines conditions.

Parallèlement, plusieurs études ont été lancées, notamment au niveau européen mais aussi par des chercheurs étrangers. Elles portent sur des effectifs bien plus importants de malades. Des premiers résultats sont attendus dans une dizaine de jours.

 

Que fait-on dans les Antilles ?

Beaucoup de patients sont traités à l’hydroxychloroquine dans le monde, et également sous nos latitudes : à Saint-Martin, le Pélican publiait le 26 mars le récit d’un patient guéri du Covid-19, après un séjour à l’hôpital Louis-Constant-Fleming. « Un ami médecin m’avait parlé de la chloroquine et m’avait préparé en quelque sorte à comprendre ce qui risquait de se passer. Ensuite les médecins de l’hôpital m’ont proposé ce traitement qui présentait des risques qu’on ne maîtrisait pas. J’ai donné mon accord à la fois pour moi mais aussi avec l’idée de faire progresser la recherche », raconte l’homme.

Le CHU de Guadeloupe a établi un protocole d’administration de cette combinaison de médicaments, le Plaquénil (médicament à base d’hydroxychloroquine) et le Zithromax (antibiotique à base d’azithromycine). « Ce sont des médicaments connus et anciens, en revanche ils ne le sont pas pour ce type de virus», explique Valérie Denux, directrice de l’ARS Guadeloupe Saint-Martin Saint-Barthélemy. « Ce traitement est utilisé, avec des indications et contre indications particulières. Il doit être réservé à des cas sévères. Pris à la légère, cela peut être dangereux, sans parler de l’automédication, qui serait encore pire. » En Nouvelle-Aquitaine, plusieurs patients ont du être hospitalisés après avoir pris de l’hydroxychloroquine de leur seul chef. Elle leur a provoqué notamment des troubles cardiaques. Comme ses confrères, Valérie Denux attend le résultat de nouvelles études. « La médecine est basée sur le rapport bénéfice/risque. Le Haut conseil de la santé publique, qui est un organisme indépendant, donnera ensuite un avis consensuel. »

 

Rumeurs et complotisme

Un obscur débat de scientifiques de haut niveau dérape dans la sphère des conversations de salon. Et bien sûr de réseaux sociaux. La personnalité détonnante du professeur Raoult y est pour beaucoup. L’infectiologue réputé est un habitué des sorties provocantes : il avait par exemple annoncé la fin du réchauffement climatique en 2013.

Son positionnement rebelle face au discours officiel, teinté d’une guéguerre entre le milieu médical provincial et le microcosme parisien, séduit de nombreux politiques et plus généralement de nombreux Français. Christian Estrosi, maire LR de Nice, affirme par exemple qu’il faut distribuer largement la chloroquine car lui-même en a pris et qu’il « se sent guéri ». Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national, demande au gouvernement de faire prescrire largement la molécule aux patients peu graves, via les médecins de ville. Ainsi chacun y va de son avis, sans pour autant être scientifique, ni médecin, ni même connaisseur.

 

Les conspirationnistes de tous bords n’ont alors qu’un pas à franchir, ils ne s’en privent pas : le gouvernement laisse sciemment les gens mourir, l’hydroxychloroquine est critiquée car pas assez rentable pour les lobbys pharmaceutiques, le Covid-19 a été fabriqué en Chine par le couple Agnès Buzyn-Yves Lévy (ex-ministre de la Santé et ex-PDG de l’Inserm, Institut national de la santé et de la recherche médicale)… Ces théories sont, comme toujours lorsqu’il s’agit de complotisme, basées sur de vraies informations déformées, tronquées ou simplifiées à l’extrême. Elles sont nourries par les couacs et les contradictions de la communication officielle.

On ne le répétera jamais assez: il est plus que jamais nécessaire de vérifier la provenance des informations que l’on reçoit, en particulier sur les réseaux sociaux.


JSB 1369















Journal de Saint-Barth N°1369 du 01/04/2020

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