Parmi les dossiers qui pèsent sur le bureau du président de la Collectivité territoriale, celui de l’amélioration de l’offre de soin sur l’île est sans nul doute l’un des plus lourds. Tout particulièrement la partie qui concerne le centre hospitalier. Sur les hauteurs de Gustavia, la structure vieillissante porte encore, huit ans après, des stigmates du passage de l’ouragan Irma en septembre 2017. Grâce au travail entrepris depuis le début du mandat en mars 2022 par la première vice-présidente Marie-Hélène Bernier, des avancées notables ont toutefois pu être enregistrées. Comme la sortie de la direction hospitalière commune avec Saint-Martin qui a permis de nommer un directeur à la tête de l’établissement de santé. L’arrivée d’Eric Djamakorzian a ainsi donné un coup d’accélérateur au projet de reconstruction de l’hôpital. Une nouvelle étape a été franchie le vendredi 3 octobre avec la tenue d’une commission générale en l’hôtel de la Collectivité.
Lors de cette réunion, organisée à huis clos entre les conseillers territoriaux et les acteurs de la santé sur l’île, une majorité des élus présents a entériné un principe : celui d’engager les finances de la Collectivité à hauteur de 28,8 millions d’euros dans le projet de reconstruction du centre hospitalier Irénée de Bruyn à Gustavia, sur le site de l’actuel établissement. Une somme à laquelle s’ajoutera les 4,7 millions d’euros de l’enveloppe attribuée à Saint-Barthélemy dans le cadre du Ségur de la santé (Une enveloppe déjà entamée puisque 190.000 euros ont été utilisés pour rénover le système de sécurité et d’incendie de l’hôpital). Ce, pour atteindre le budget estimé du projet de reconstruction : un peu plus de 33,3 millions d’euros.
Dans l’attente d’une validation en conseil territorial
« La commission générale du conseil territorial a acté le principe du versement d’une subvention d’équipement d’un montant de 28,8 millions d’euros pour voir advenir un Hôpital flambant neuf et pleinement opérationnel au service de la population », a confirmé, en ligne, le président Xavier Lédée au sortir de la réunion. L’élu précise : « Évidemment, ce n'est pas un chèque en blanc, de nombreuses étapes marqueront ces prochains mois. Au regard de l'urgence qui préside à la reconstruction de cet hôpital et des tergiversations qui ont court sur ce sujet depuis 2017, j’ai souhaité, en partenariat avec le directeur de l'hôpital, M. Eric Djamakorzian que je remercie, que ce point fasse l’objet d’un débat au prochain conseil territorial afin de lancer ce projet sur les rails pour un début des travaux fin 2026 et une livraison en 2030. » De fait, la «validation du projet de reconstruction de l’hôpital Irénée de Bruyn et le versement d’une subvention d’équipement » est inscrite à l’ordre du jour du conseil territorial annoncé pour le 23 octobre, à 17 heures.
Un plan financier en quatre étapes
Deux scenarii ont été présentés lors de la commission générale du 3 octobre. Le premier consiste en une reconstruction conjuguée à une restructuration des équipements existants. Une option dont le coût a été estimé à environ 32,6 millions d’euros. Le deuxième implique une reconstruction complète de l’établissement en repensant son aménagement. Coût estimatif de l’opération : plus de 34,6 millions d’euros. Dans les deux cas, plusieurs options ont été proposées aux élus : l’installation d’un vertiport, d’une hélistation, la construction de logements, l’intégration d’une Maison des assistantes maternelles et de la Maison de la santé à la structure. Les budgets estimatifs comprennent toutes ces options. Lors de la commission générale, c’est le scenario d’une reconstruction complète, avec trois des cinq options proposées par la direction du centre hospitalier (une hélistation, des logements et l’intégration de la maison de la santé actuellement basée à Saint-Jean) qui a été privilégié par les élus.
Si la Collectivité suit ce scénario, le plan financier de programmation se répartira en quatre tranches : 5% en 2026, 35% en 2027, 40% en 2028 et 20% en 2029. Mais ce beau projet ne pourra se faire tant qu’une réponse n’aura pas été apportée à une interrogation majeure : à qui appartient le terrain sur lequel est construit l’actuel centre hospitalier ?
Le foncier : une épine dans le pied
En effet, ce problème n’a toujours pas été résolu. En août 2022, le président du Département de la Guadeloupe, Guy Losbar, s’était engagé à officialiser la rétrocession des parcelles à la Collectivité. Or, entre temps, la direction de l’hôpital s’est également positionnée en indiquant que l’établissement serait le propriétaire du terrain. Le dossier se révèle donc bien plus complexe qu’il ne semblait l’être au départ.
La médiation initiée entre le centre hospitalier et le Département de Guadeloupe a été prolongée de trois mois. Présidente du conseil de surveillance de l’hôpital, Marie-Hélène Bernier rapporte que la médiation « irait plus dans le sens que le foncier appartiendrait à l’hôpital, mais aussi les terrains de l’Ehpad, les logements et le centre d’imagerie». Si tel est le cas, cela signifie que la Collectivité territoriale s’apprête à investir dans un projet de construction ambitieux sur un terrain qui n’appartient pas à la Collectivité. « C’est prendre un gros risque, estime la première vice-présidente de la Collectivité. On me répond que ce n’est pas important car c’est un hôpital public. Mais si les terrains appartiennent effectivement à l’hôpital, il faudra que la Collectivité engage une nouvelle médiation avec l’hôpital. On est dans le flou total.»
Par ailleurs, le directeur de l’hôpital Eric Djamakorzian a déjà indiqué qu’il lui paraissait indispensable que la question de la propriété des terrains soit réglée avant de donner le moindre coup de pioche. Pour l’heure, l’incertitude demeure et pourrait, de fait, d’ores et déjà compromettre l’agenda prévisionnel.
Un projet de reconstruction critiqué
La décision des cinq élus du groupe présidentiel (Unis pour Saint-Barthélemy) et des cinq du groupe Saint-Barth d’Abord (sans oublier Francius Matignon, désormais électron libre) d’opter pour une reconstruction de l’hôpital sur le site historique de Gustavia n’est pas du goût de tout le monde. A commencer par les huit élus de la formation Action-Équilibre, qui s’interrogent sur les raisons pour lesquelles la possibilité de construire un établissement neuf à Saint-Jean a été écartée par le président de la Collectivité. «La commission générale du vendredi 3 octobre a révélé l’accumulation des contraintes du projet de reconstruction de l’hôpital à Gustavia, écrit le groupe dans une publication. En effet, si nous attendions avec impatience cette présentation pour nous assurer de la pertinence du projet, force est de constater que les échanges ont révélé tous les problèmes qu’il faudrait résoudre pour le mener à bien. Sans même parler des problèmes de propriété du terrain ou de son exacte superficie, les contraintes techniques, d’organisation, de nuisances, d’engagements financiers pour ce chantier, sont énormes. » Et la formation de s’interroger : « Lors de la commission générale du 8 avril 2025, à la demande de Bettina Cointre, il avait été acté qu’une étude générale soit aussi lancée sur le site de Saint Jean qui présente un certain nombre d’avantages. Cela n’a pas été fait. Pourquoi ? De ce fait, une seule solution aujourd’hui est présentée aux élus et elle est clairement inadaptée. Il semblerait donc que certains élus du conseil territorial se contentent de ce qu’on veut bien leur proposer. A moins que la santé de la population soit devenue l’otage d’arrangements politiques et d’influences extérieures. »
Pour les élus d’Action-Équilibre, la survie politique du président est désormais intimement liée aux bons rapports entretenus avec Saint-Barth d’Abord. Un groupe qui soutient le projet de reconstruction à Gustavia. Sans oublier que l’idée de bâtir un nouvel hôpital à Saint-Jean vient de… Marie-Hélène Bernier. Une raison de plus pour le président de ne pas donner suite à cette deuxième possibilité.
Un « hub médical » à Gustavia
Le projet de reconstruction d’un nouvel hôpital sur le site de Gustavia s’accompagnerait du rattachement de la Maison de la santé, actuellement installée aux Sables, à Saint-Jean. L’objectif d’une telle démarche pour l’hôpital et la Collectivité serait de créer un « hub médical » destiné à « améliorer le parcours médical des patients ». Un rattachement qui, combiné à l’ampleur du projet global, impliquera de se plier aux normes en matière de places de stationnement. Sur un site qui n’est, par définition, pas extensible.