L’affolement des premières heures et le catastrophisme des déclarations initiales ont, semble-t-il, cédé leur place à une relative sérénité dans le bureau présidentiel. Le mardi 8 juillet, dans la salle des mariages de la Collectivité territoriale, le président Xavier Lédée a fait montre de plus de retenue que dans les jours qui ont suivi le premier puis le second rejet de l’approbation du compte financier unique 2024 par une majorité des élus territoriaux (JSB 1622). Si les conséquences de ces deux votes successifs sont réelles, elles semblent toutefois bien éloignées de l’apocalypse budgétaire annoncée au sortir des réunions du conseil territorial des 27 et 30 juin. De fait, après avoir dénoncé « une atteinte caractérisée à l’autonomie » de l’île, Xavier Lédée a tenu un discours plus modéré le mardi 8 juillet.
Pour rappel, le compte financier unique (CFU) est un document qui se substitue à la fois au compte administratif et au compte de gestion. Aussi, il retrace l’ensemble des dépenses et des recettes exécutées au cours de l’exercice précédent. En l’occurrence, celui de 2024. Pour des raisons plus politiques que financières, les huit élus du groupe Action-Équilibre ont émis un vote défavorable tandis que cinq des six conseillers de Saint-Barth d’Abord se sont abstenus lors du vote du 30 juin. Le CFU a donc été rejeté. La première conséquence a été une intervention du préfet, Cyrille le Vely, qui a saisi dès le mercredi 2 juillet la Chambre territoriale des comptes de la Guadeloupe pour qu’elle procède à l’examen du CFU. Celle-ci dispose d’un mois pour émettre un avis et le transmettre au représentant de l’État. Ce dernier aura alors la tâche de rendre une décision exécutoire. Quoi qu’il en soit, suite au vote du 30 juin, le président Lédée et ses chefs de services ont été contraints de s’activer afin de trouver les solutions adéquates pour « limiter les conséquences » du rejet du CFU. Principalement celles liées à la suspension annoncée de l’exécution du budget primitif pendant la durée de la procédure.
Des contraintes budgétaires
Lors de son intervention, mardi, Xavier Lédée a expliqué que le dossier de Saint-Barthélemy est d’ores et déjà entre les mains des services de la Chambre territoriale des comptes (CTC) . « Ils sont un peu embêtés parce qu’en général, le CFU est une procédure expérimentale qui vise à remplacer le compte de gestion et le compte administratif, et par le passé le conseil territorial devait valider que ces deux comptes étaient conformes, rappelle le président. Avec le document unique, il est fait après validation avec la Trésorerie, donc la Chambre territoriale des comptes ne sait pas trop constater les différences sur un seul document. Donc ils ne devraient regarder que le process de ce document et voir comment se sont faits les échanges avec la Collectivité. L’espoir est donc que ça aille relativement vite. La Direction générale des finances a déjà envoyé une première série de documents. »
Parallèlement, le président explique que « la suite logique » du rejet du CFU a été « la suspension du budget 2025 avec deux conséquences ». Il précise : « La première est de repasser en termes de moyens de financement, sur 100% de ce qui était prévu au budget de 2024 en matière de fonctionnement, et sur 50% de ce qui était prévu en matière d’investissement. » Aussi, avec ses chefs de services, Xavier Lédée a « ciblé » des projets majeurs en cours de réalisation.
Des chantiers qui continuent
Les travaux entrepris sur le port de commerce, qui vont se poursuivre malgré une limitation des paiements et des engagements à hauteur de 50% du budget prévu initialement. « Ce qui n’empêche pas de travailler et de payer ce qui est réalisé », assure le président. Il ajoute qu’un avenant d’un montant de 500.000 euros venait d’être voté en conseil exécutif. « Cet avenant, nous ne pouvons pas l’engager, néanmoins les entreprises ont accepté de continuer le travail et de prendre sur elles ce financement », déclare Xavier Lédée.
Pour les travaux entrepris sur la route entre la Tourmente et l’Œuf, l’élu indique qu’ils concernent une ligne budgétaire de 2025. « Donc nous n’avons pas la possibilité d’engager ni de payer la moindre facture, explique-t-il. Néanmoins, là aussi, les entreprises ont pris sur elles de continuer. » Les travaux à Marigot et à Lurin vont aussi se poursuivre. Seuls ceux qui vont de Saline à Tourterelle sont arrêtés. Mais le président souligne que des entreprises qui y travaillent sont engagées sur d’autres chantiers et vont continuer à œuvrer. « Nous avons quelques arrêts mais toutes les entreprises ont joué le jeu, insiste Xavier Lédée. On a certaines factures de travaux réalisés qui ne peuvent pas être payées, pour un chiffre global autour d’un million d’euro. »
Ne pas « jouer les apprentis sorciers »
D’autres travaux devaient débuter mais ne seront pas lancés. C’est le cas de ceux de la route entre le dispensaire et Public, dont l’entame était programmée pour le 15 juillet. Une avance de trois millions pour la pose du troisième câble sous-marin ne pourra être versée dans l’immédiat. « La situation avance et nous permet de continuer, malgré quelques blocages, rassure le président. En termes de fonctionnement, les lignes sont plus souples donc ça nous permet de travailler. Notamment sur les sargasses. Mais ce n’est pas le moment de jouer les apprentis sorciers. »
Sur le contrôle de la Chambre territoriale des comptes, Xavier Lédée insiste sur le fait que l’examen va porter sur le respect des règles comptables. « Objectivement, il peut toujours y avoir un rejet des comptes par la CTC, mais ce n’est pas le sens de la démarche et le CFU est fait par les mêmes équipes qu’auparavant qui ont déjà été contrôlées », rappelle le président qui assure ne nourrir «aucune inquiétude ». Il ajoute : « Il y a un délai réglementaire et on est prudent. Mais on est plutôt optimiste, du fait que les budgets 2024 et 2025 ont été votés. »
Malgré les quelques blocages évoqués par le président, qui a annoncé qu’il dévoilera un document détaillé des modifications engendrées par la saisine de la CTC, la situation apparaît nettement moins dramatique que celle promise au sortir du conseil territorial du 30 juin. Une relative incertitude demeurera toutefois jusqu’au rendu de la décision de la Chambre territoriale des comptes. Celle-ci devrait intervenir, au plus tard, dans les premiers jours du mois d’août.
Un vote « rejet » qui s’explique
Si les deux refus par une majorité des élus territoriaux d’approuver le compte financier unique, les 27 et 30 juin, a pu surprendre, ils trouvent néanmoins leur explication dans la situation politique qui agite la gouvernance depuis deux ans. Pour mémoire, les six élus du groupe Saint-Barth d’Abord avaient voté contre l’adoption du budget primitif 2024. Qu’ils s’abstiennent, à l’exception de Francius Matignon le 30 juin, pour l’approbation du CFU n’a donc rien d’étonnant. Même si la recomposition du conseil exécutif a porté Francius Matignon et Alexandra Questel à des sièges de vice-présidents début juin. Par ailleurs, si sept des huit élus du groupe Action-Équilibre s’étaient prononcés favorablement lors du vote du budget 2024 (Marie-Hélène Bernier, première vice-présidente, avait voté contre en raison de l’absence d’une reprise du projet de délocalisation des écoles de Gustavia à Saint-Jean), l’implosion de l’alliance avec le groupe présidentiel (Unis pour Saint-Barthélemy) laissait augurer une modification des rapports de force au sein de l’assemblée. De plus, l’entente cordiale des débuts s’est muée en une évidente détestation entre les deux groupes. L’assemblée tripartite au sein de laquelle le groupe présidentiel est minoritaire devrait entraîner l’expression publique d’autres discordances dans les prochains mois.
Une communication intensive
Si le groupe Action-Équilibre se fait discret sur les réseaux, il n’en est pas de même pour Saint-Barth d’Abord. Les publications sont régulières, sur des sujets variés mais souvent pour pointer du doigts les désaccords avec la politique du président Lédée. De son côté, ce dernier alimente de manière quasi quotidienne, par des textes, des photographies et des vidéos où il est mis en scène, deux pages Facebook qui portent son nom. De plus, le groupe Unis pour Saint-Barthélemy a relancé dès le 29 juin une page dédiée qui relaie désormais l’actualité du président et des élus du groupe. A croire que la campagne électorale 2027 est lancée…