Saint-Barth - Rupture Xavier Helene

L’union de la majorité vole en éclats

Les six élus issus de la liste conduite par Marie-Hélène Bernier au premier tour des élections territoriales de mars 2022 ont annoncé leur retrait du groupe majoritaire Union-Équilibre. Le président Xavier Lédée va désormais gouverner sans majorité au sein d’une assemblée divisée en trois groupes.

 

A bien y réfléchir, Bruno Magras avait raison. Au soir du deuxième tour des élections territoriales, le 27 mars 2022, le président sortant avait qualifié l’union entre Marie-Hélène Bernier et Xavier Lédée de « mariage de la carpe et du lapin ». Son successeur à la tête du groupe Saint-Barth d’Abord, Romaric Magras, annonçait aussi que cette union ne ferait pas long feu. Il avait vu juste : elle a duré à peine plus de deux années sur les cinq que compte le mandat.
Mardi 23 avril, en milieu de matinée, les six élus issus de la liste conduite par Marie-Hélène Bernier ont adressé un courrier à tous les membres du conseil territorial pour leur signifier qu’ils se retiraient du groupe majoritaire Union-Équilibre. Par conséquent, la Collectivité va désormais être gouvernée par une hydre à trois têtes.
Celle du président Lédée et de ses cinq anciens colistiers (Caroline Maurel, Mélissa Lake, Olivier Gréaux, Fabrice Querrard et Marie-Angèle Aubin), celle de Marie-Hélène Bernier et se ses six fidèles (Bettina Cointre, Pascale Minarro-Baudoin, Maximes Desouches, Dimitri Lédée, Jonas Brin et David Blanchard) et celle de Saint-Barth d’Abord et son chef de file Romaric Magras, (Alexandra Questel, Micheline Jacques, Francius Matignon, Sandra Baptiste et Rudi Laplace). Par conséquent, si Xavier Lédée conserve sa baguette de chef d’orchestre, il ne pourra se reposer que sur moins d’un tiers des musiciens. Désormais, il ne dispose plus que de cinq voix, en plus de la sienne, au sein du conseil territorial.

Absence de réponse
« Cette décision grave et mûrement réfléchie intervient après une nouvelle et vaine tentative de restaurer un fonctionnement normal et apaisé de la Collectivité et de mener une politique d’union respectant enfin les propositions pour lesquelles nous avons été élus », écrivent dans leur courriel Bettina Cointre, Pascale Minarro-Baudoin, Maxime Desouches, Dimitri Lédée, Jonas Brin et David Blanchard. Une décision qui, assurent-ils, a été signifiée au président la veille de l’envoi à l’ensemble des élus, le lundi 22 avril.
Dans ce même courriel, ils indiquent avoir envoyé un courrier à Xavier Lédée le vendredi 5 avril pour lui demander de « procéder au changement de son chef de cabinet qui n’a pas su apporter le conseil et les compétences inhérents à ce poste crucial », mais aussi du chargé de mission auprès de la première vice-présidente « qui à la suite des conclusions de l’enquête administrative aurait dû être réinstallé dans sa mission ou la quitter ». En réaction, le directeur de cabinet du président, Olivier Basset, réplique : « Lorsque les attaques émanent des élus les plus impopulaires de l’île, je dois reconnaître que cela me donne beaucoup de fierté. » Egalement sollicité, l’ancien collaborateur de Marie-Hélène Bernier n’a pas souhaité s’exprimer.
Les six élus proches de Marie-Hélène Bernier demandent également au président de la Collectivité dans leur missive de « définir ensemble et de manière claire la mise en application des orientations et stratégies politiques prioritaires dans chaque domaine » et de « matérialiser son engagement, en ce sens, au plus tard le 19 avril ». En l’absence de réponse, les six élus ont averti Xavier Lédée de leur intention de quitter les rangs de la majorité. Un retour qui, d’évidence, ne leur est jamais parvenue.
« Malgré les deux semaines données pour apporter des réponses à notre courrier du 5 avril, l’absence de réponse à ce courrier démontre le peu de cas qui est fait des demandes des élus de sa majorité », constatent les signataires du courriel. Dans la foulée, quatre d’entre-eux (Maxime Desouches, Pascale Minarro-Baudoin, Dimitri Lédée et Jonas Brin) ont donné leur démission des commissions qu’ils présidaient depuis le début du mandat. Néanmoins, ils restent conseillers territoriaux. Ils siègeront donc au sein de l’assemblée lors du prochain conseil territorial. Aux côtés de Marie-Hélène Bernier puisque la première vice-présidente, si elle n’a pas signé le courriel de ses anciens colistiers, a déclaré dans un autre mail adressé aux élus : « Depuis les dernières accusations du président Lédée à mon encontre (JSB 1563), je ne me considère plus comme élue de la majorité… d’hier. »
    
Un retrait de la majorité, pas du conseil territorial

Dans un communiqué diffusé sous la bannière Action-Equilibre (nom de la liste conduite par Marie-Hélène Bernier aux élections de mars 2022), Bettina Cointre, Pascale Minarro-Baudoin, David Blanchard, Jonas Brin, Maxime Desouches et Dimitri Lédée précisent que leur retrait de l’union majoritaire ne signifie pas qu’ils démissionnent de leur siège de conseiller territoriaux. « Nous continuerons bien évidemment à siéger au conseil territorial ainsi, d’ailleurs, pour certains d’entre nous, qu’au conseil exécutif, écrivent-ils. Ce retrait marque notre volonté de nous désolidariser de la gouvernance et de la politique menée par Xavier Lédée. » Ils ajoutent que leur décision « a notamment trait aux hésitations répétées du président sur la maîtrise tant attendue du développement du territoire et à sa gouvernance de plus en plus isolée ». Et ils affirment : « Nous tenons toutefois à rassurer la population quant à notre engagement plein et entier au service de notre île. »

 

Démissions des présidences de commission

Maxime Desouches, Dimitri Lédée, Jonas Brin et Pascale Minarro-Baudoin ont démissionné de la présidence de leur commission respective. Maxime Desouche a choisi de quitter sa fonction de président de la commission urbanisme, dont il restera toutefois membre. De son côté, Dimitri Lédée a adressé au président Lédée sa démission de la présidence de la commission des Affaires économiques. Pour des motifs qu’il expose dans un long courrier, comme le non-respect de l’arrêté sur le bâchage des camions, le fait qu’il n’a pas été consulté dans le dossier des AOT ou encore le dossier des taxis qui ne va pas dans le sens des orientations qu’il souhaitait établir.
Président de la commission de Maîtrise du développement et de modernisation du territoire, Jonas Brin abandonne également ses fonctions. En raison de l’atmosphère délétère qui règne au sein de la Collectivité mais aussi des désaccords constants qui opposent les membres de la majorité sur les orientations politiques. «Nous avançons à l’aveugle sur de nombreux projets, avec des changements importants de décision et pour certains, sans que j’en sois informé, alors même que ces changements concernent directement la commission que je préside », constate l’élu.
Enfin, Pascale Minarro-Baudoin quitte également la présidence de la commission territoriale d’accès au travail des étrangers et de représentante de la Collectivité au sein du Comité du tourisme. Ce qui entraîne, de facto, sa démission du poste de présidente du CTTSB. Absence de réponse à des problématiques posées, « manque de vision stratégique », manque de soutien, « mode de gouvernance isolé », les griefs évoqués sont nombreux.
Une fois encore, il est nécessaire de préciser que ces quatre élus restent conseillers territoriaux et, pour Maxime Desouches, membre du conseil exécutif.

 

Xavier Lédée : « J’assume pleinement le bilan des deux premières années »

Sollicité à plusieurs reprises par le JSB après le retrait de six élus de la majorité et la démission de quatre d’entre-eux de la présidence de la commission qu’ils occupaient depuis le début du mandat, le président de la Collectivité a répondu par un long courriel. « Je me suis efforcé, avec le soutien de mes services, de prioriser la confrontation des idées, de favoriser le débat et de permettre à tous d’apporter une valeur ajoutée à l’action publique, écrit-il. Notre engagement envers le développement de Saint-Barthélemy reste ferme et inébranlable. »
Pour justifier son propos, Xavier Lédée énumère les actions conduites depuis le début de la mandature et la poursuite des projets initiés avant que celle-ci ne commence. De l’unité mobile de production d’eau à la mise en place d’une fourrière en passant par « le lancement imminent des travaux de réfection du quai, des Maisons des Assistantes Maternelles, d’environ vingt logements pour le personnel essentiel », sans oublier l’ouverture de la Maison de la santé. « Dans un contexte de pluralisme politique, j’assume pleinement le bilan de ces deux premières années à la tête du conseil territorial », assure-t-il.

Des élus accusés d’influencer les services de l’Etat
Néanmoins, il estime que «quelques élus (sans les citer, ndlr) n'ont pas toujours agi en cohérence avec les objectifs de la Collectivité, influençant parfois les services de l'État d'une manière qui pourrait compromettre notre autonomie». Sans plus de précision, le président insiste, énigmatique : « Ces comportements ont nécessité de ma part une vigilance accrue, que j'ai exercée avec le plus grand respect afin de préserver l'intégrité de notre gouvernance, son autonomie de fonctionnement et son rôle moteur pour continuer à rendre ce territoire attractif. »
Sur le retrait de la majorité de six élus, il évoque « des raisons qui ne reposent pas sur un fondement politique cohérent » mais écrit « prendre acte » de ces décisions. Il affirme : «Cette situation, loin de constituer un obstacle, nous offre l'occasion de réaffirmer l'engagement de chaque élu envers les projets communs et le bien-être de notre communauté. »
Telle une pique assénée à ses détracteurs, Xavier Lédée lance :  « Je m’engage, dans un souci de loyauté vis-à-vis des électeurs qui m’ont choisi au second tour à conduire l’action de la Collectivité. ».
Quant à la nouvelle configuration du conseil territorial, il assure l’anticiper en expliquant : « Je m’assurerai que les travaux préparatoires du conseil territorial puissent avancer et être organisés dans le cadre de commissions générales afin de recueillir les avis de chaque sensibilité (…) En tant que président, j’ai toujours souhaité travailler avec chacun des membres du conseil territorial et je suis prêt à consentir de nouvelles délégations à celles et ceux qui veulent s’investir encore plus pour les projets d’intérêts communs. » Pour l’heure, les candidats ne semblent pas légion.

 

Olivier Basset monte à la charge
Attaqué dans le courrier rédigé par Bettina Cointre, Maxime Desouches, Dimitri Lédée, Jonas Brin, Pascale Minarro-Baudoin et David Blanchard, le directeur de cabinet du président a choisi de sortir de sa réserve. Non sans virulence. Il répond indirectement à Maxime Desouches, qu’il qualifie de « champion de l’impopularité » avant de le décrire de la manière suivante : « Celui qui a reçu des délégations de fonctions importantes dès le début du mandat, notamment en matière d'urbanisme et qui propose des évolutions réglementaires qui mettent le feu partout dans la société civile. » Olivier Basset n’est pas plus tendre avec Dimitri Lédée qui, selon lui, « mène un travail de sape contre des professions essentielles pour l'île, qui agit sans concertation et qui place le président Lédée dans des positions impossibles à tenir ». Enfin, il s’épanche également sur Pascale Minarro-Baudoin. « Au lieu d'appeler à la démission de tel ou tel agent de la collectivité, je ne suis pas le seul concerné d'ailleurs, ces élus feraient mieux d'agir dans l'intérêt de la collectivité et de faire avancer leurs dossiers », gronde le directeur de cabinet avant de dénoncer un « déballage » des élus « sur les réseaux », ce qu’il estime être « un aveu de faiblesse » qui lui « paraît contraire au principe de discrétion professionnelle ».

 

Saint-Barth d’Abord en observateur

Chef de file du groupe d’opposition Saint-Barth d’Abord, Romaric Magras a consulté « ses » cinq élus avant de commenter la situation. « Le groupe constate avec regret que l’île traverse une période d'instabilité politique, indique-t-il. Nous avions tous remarqué une fracture dans l'union de la Majorité. » L’élu assure que son groupe « reste attentif à la suite des évènements, tout en ayant conscience qu'il sera compliqué de trouver un consensus en présence de trois groupes politiques ». Compte tenu de la dispersion des forces au sein du conseil territorial, Saint-Barth d’Abord envisage-t-il de se rapprocher du groupe de Marie-Hélène Bernier ? « Nous avons une seule conviction, continuer à travailler dans l'intérêt des habitants de St Barthélémy, répond Romaric Magras. Tout ce qui va dans ce sens a le mérite d'être étudié. » Qu’attend le groupe d’opposition de la part du président Xavier Lédée ? « La crise politique que traverse notre île est inédite, et porte préjudice à son image, rappelle Romaric Magras. Je l'invite (Xavier Lédée, ndlr) à prendre toutes les mesures pour ramener notre territoire à une stabilité politique, et par voie de conséquence, une stabilité économique et sociale. »

 

Journal de Saint-Barth N°1564 du 25/04/2024

Rupture de l'union majoritaire
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