Saint-Barth - conseil territorial 22 mai 2020

Le débat sur les murets provoque la zizanie

Le chantier sur les murets de Grand Fond a repris lundi sous surveillance pour éviter une nouvelle manifestation, qui n’a pas eu lieu. Le débat sur la question, vendredi au conseil territorial, a viré au règlement de compte entre élus.

C’est Bruno Magras qui, en fin de séance, a soulevé le sujet des murets de Grand Fond. Question brûlante après la manifestation du 15 mai qui a provoqué la suspension du chantier par la préfète Sylvie Feucher. Finalement, les travaux ont repris lundi, sous surveillance. La Direction des affaires culturelles donnera un avis plus général sur les murets traditionnels, mais ne peut s’opposer à la reprise du chantier.

Bruno Magras se défend de toute entorse au marché public. Il critique les élus qui ont attendu que le chantier débute pour manifester leur désapprobation. « La commission d’appel d’offres dont font partie Bettina Cointre et Xavier Lédée a signé favorablement, le 3 décembre 2019, l’attribution du marché à BatiVRD. Marie-Angèle Aubin a également voté favorablement au conseil exécutif (ces trois élus avaient signé le courrier s’opposant à la reconstruction des murets, ndlr) Les choses ont été faites légalement. Les propriétaires des murets sont venus me voir à l’aéroport pour me demander de reprendre les travaux.»  Et d’ajouter : « On peut garder la mémoire en essayant de rester le plus proche possible ; regardez le Wall House : la toiture n’est pas la même qu’à l’époque suédoise, mais on conserve l’esprit. »

Une plainte
contre Hélène Bernier

Bruno Magras rappelle qu’il a déposé une plainte au nom de la Collectivité contre Hélène Bernier. « Nous allons nous porter partie civile, car la Collectivité perd de l’argent avec l’arrêt du chantier. Si on veut garder la réputation de Saint-Barth, ce n’est pas en organisant des manifestations», tance le Président. Avant d’attaquer directement ses opposants, Hélène Bernier (Saint-Barth Autrement) et Xavier Lédée (Unis pour Saint-Barthélemy). « Un jeu malsain se fait au niveau des jeunes, il faut faire attention. On induit des jeunes en erreur en leur faisant croire qu’on est en train de dilapider le patrimoine. Et d’ailleurs des gens dont les familles ont été les promoteurs et les spéculateurs à Saint-Barthélemy, et aujourd’hui sont en train de critiquer le travail que moi je conduis depuis 25 ans, et que d’autres ont conduit avant moi. Je ne suis pas disposé à me venger ou tirer sur la bêtise, mais je veux que la Collectivité puisse poursuivre ses travaux. »
Il interpelle ensuite Maxime Desouches, seul élu avec Hélène Bernier à avoir pris part à la manifestation : «C’est amusant car un jour, tu m’avais dit cette formule que j’avais apprécié : “une clé à molette qui tombe d’un véhicule, dans 200 ans c’est un monument historique”. Tu te souviens de ça ? » « Pas du tout, mais c’est possible », répond l’intéressé, qui rebondit : « En commission d’appel d’offres, les élus ne se prononcent pas sur le contenu du cahier des charges, mais ne font que classer les entreprises par rapport aux règles du marché public. » « Il y a eu des réunions publiques pour expliquer le projet, les habitants de Grand Fond sont venus, en 2015 ! » s’agace la vice-présidente Micheline Jacques. Sauf qu’effectivement, entre 2015 et 2019, l’ouragan Irma est passé par là et a convaincu la Collectivité de revoir sa copie en renforçant les murets à l’aide de cet ouvrage bétonné.

Où l’on ressort
les événements de juin 75

Hélène Bernier a la parole : «Le projet a été présenté à toute la population, j’y ai assisté, la population était d’accord pour refaire cette route, il y a eu pas mal de commentaires, et la condition était de refaire les murets à l’identique. Ensuite le cahier des charges a changé. L’honnêteté selon moi serait d’en informer la population. » Elle s’interrompt devant les mimiques d’impatience du Président : «Quand moi je m’exprime, c’est de la polémique, quand Bruno Magras s’exprime, il s’exprime ! » s’agace-t-elle. « Laissez-moi finir ! » « Je vous ai donné la parole, exprimez vous ! » encourage le Président. « Allez-y, allez-y ! » « Fin 2017, Elodie (Laplace, élue en charge de la culture, ndlr) m’a demandé de faire le tour des bâtiments du patrimoine, les murets en faisaient partie. Ce travail n’a jamais abouti, nous n’avons toujours pas d’inventaire du patrimoine. » « C’est le boulot de la Dac, ce n’est pas celui de la Collectivité », coupe Elodie Laplace. « L’inventaire n’a jamais été fait. On a un patrimoine qui est en train de disparaître, et c’est bien ce que les jeunes reprochent à la Collectivité ! », martèle Hélène Bernier. « Et je rappelle juste une chose, en 1975, qui était leader des manifestations ? C’est Bruno Magras, non ? » « On vous a dit ça, vous étiez née ? » rigole Bruno Magras. « Donc vous étiez aussi fou que les jeunes d’aujourd’hui ? » «Oui, mais je n’empêchais pas la Collectivité de faire ses travaux… » « Ah bon, vous n’aviez pas bloqué l’aéroport avec votre voiture, pour mettre les CRS dehors ? » «C’était autre chose ! » «Quand c’est vous, c’est autre chose ! » triomphe Hélène Bernier. « Vous confondez tout ! Vous êtes en train d’induire les jeunes en erreur, Madame Bernier. » «Mais les jeunes, ils font des études en dehors de l’île, ils savent très bien ce qu’ils disent. »

Du respect et de l’écoute
Bruno Magras liste les travaux patrimoniaux qu’en 38 ans de mandat, et 25 ans à la tête de l’île, il a supervisé : «Le presbytère a été rénové, le clocher suédois, l’église catholique, l’ancien tribunal suédois… Toute une série de monuments ont été protégés et améliorés dans leur conception. Les murets seront à l’identique, les pierres ne seront pas collées dessus. Ils seront simplement plus costauds. » « Venez voir à Grand Fond, je vous ferai visiter ! Tous les murets sont refaits à l’identique sans béton ! Il y a du mortier… » Le Président s’esclaffe, Hélène Bernier reprend, courroucée : « Ce qui est sûr Monsieur Magras, c’est qu’aujourd’hui, vous avez une population qui se réveille et qui va manifester. Mettez-vous ça dans la tête, vous allez trop loin dans le développement de Saint-Barth. Vous n’écoutez personne, quand quelqu’un n’est pas d’accord avec vous, c’est qu’il est votre opposant, vous êtes incapable de discuter avec quelqu’un. Je ne suis pas d’accord avec vous, vous considérez que c’est parce que je suis  une imbécile ! Oui, vous traitez les gens comme ça ! »

« J’ai toujours respecté les gens qui me respectent. Et d’ailleurs si ça fait cinq élections que je gagne au premier tour, c’est que la population me fait confiance. Le jour où vous en aurez gagné une au premier tour, nous pourrons discuter », tranche Bruno Magras.

Marie Angèle-Aubin, membre de la majorité et du conseil exécutif, allume son micro : «Je suis d’accord avec ce qu’Hélène dit concernant le patrimoine et les murets de Grand Fond, et mon avis n’a pas changé. » Elle faisait partie des sept élus signataires du courrier contre l’ouvrage en béton prévu au cœur des murets. « La reconstruction que vous souhaitez faire ne peut pas représenter l’authenticité de ces murets. Je défends aussi les cases créoles pour lesquelles j’ai un amour passionné. Et vous avez vu, vous avez tous reçu les mails de personnes qui se sont manifestées auprès de nous, élus, et notamment Bruno Magras. Nos jeunes sont vraiment en train de se réveiller », dit-elle gravement. Le président rit encore : « Ils étaient endormis ? » «Ce qu’on va laisser à nos enfants, ce sera du béton ! », poursuit Marie-Angèle Aubin. « On ne peut pas continuer à regarder l’avenir avec les yeux du passé », rétorque Bruno Magras, sérieux. «C’est facile ! J’ai reçu une jeune qui voulait me voir ; quelques jours après elle écrit sur Facebook qu’elle ne se sent plus chez elle. Je regarde qui c’est : son grand-père est celui qui a vendu la totalité du morne de Saint-Jean ! » Marie-Angèle Aubin hausse le ton : « Ce n’est pas elle qui a vendu ! Il ne faut pas la comparer avec son grand-père qui avait des besoins à l’époque. » « On ne peut pas incriminer les jeunes pour ce que leurs parents et grands-parents ont fait. Mais on les informe ! Je ne les condamne pas d’avoir vendu, mais je dis que le rôle des parents, c’est d’informer les jeunes. C’est facile de critiquer le Président quand des gens ont vendu un terrain à Grand Fond où des villas vont se construire. Bruno Magras ne peut pas empêcher les gens de vendre leurs terrains », souligne le Président.

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Marie-Angèle Aubin invitée à démissionner du CE

Au cours du débat sur Grand Fond, l’urbanisme et le patrimoine en général, Xavier Lédée alpague le Président : « Est-ce qu’on pourrait accepter que quelqu’un qui propose quelque chose, qui a une idée, puisse le faire par sincérité, et pas juste par manipulation, bêtise, méconnaissance, mais simplement par conviction ? » «Et sans lui demander de démissionner, aussi», lâche Marie-Angèle Aubin, amère. Une petite phrase qui en dit long.
Depuis sa prise de parole contre la construction de dix villas à Flamands en 2019 (JSB 1336), et récemment contre le projet des murets de Grand Fond, l’élue est sur la sellette au sein de sa propre équipe. Ces prises de position individuelles, associées à son souhait de candidater pour le Sénat en septembre -quitte à faire campagne contre Micheline Jacques, pressentie pour le poste (JSB 1342)-, lui auraient valu une suggestion de la part du Président de démissionner du conseil exécutif, au profit d’un autre élu. Le nom d’Elodie Laplace, actuellement en charge de la culture, circule.
Hélène Bernier met les pieds dans le plat : «Quand quelqu’un de votre majorité n’est pas d’accord avec vous, il doit démissionner!» Bruno Magras assume : « Quand on fait de la politique, qu’on se fait élire dans un groupe, une discipline s’applique. Vous êtes dans une dynamique, vous votez comme le groupe, sinon, vous partez. Vous ne pouvez pas continuer à percevoir des indemnités en tant qu’élu, et ne plus respecter la politique du groupe, car d’autres ont été élus derrière.» « C’est donc bien ce que Xavier disait, on n’a pas le droit de penser. J’ai des convictions, je les défends, et on me demande de démissionner », conclut Marie-Angèle Aubin. « Quand on a fait un programme politique, on essaie de le respecter. Si c’est pour qu’à chaque réunion, les 19 élus aient 19 avis contraires, on n’avance plus », réplique Bruno Magras. Elodie Laplace : «Quand on fait partie d’un groupe il y a une rigueur à avoir. Dans les dix-neuf élus, vous êtes électrons libres (elle s’adresse aux opposants, ndlr). Nous, quand on n’est pas d’accord avec un choix politique, on en discute en amont, en commission ou avec le Président. Justement pour éviter d’arriver au pugilat. On n’est pas pour autant des moutons de panurges ! » « Il faut que vous arrêtiez d’être hypocrites!»  Hélène Bernier s’énerve et met sur la place publique la cuisine interne des élus Saint-Barth d’Abord, dont les relations ne sont pas qu’un long fleuve tranquille. On est bien loin du débat sur les murets. D’autorité, Bruno Magras lève la séance, dans une ambiance électrique : « Vous allez continuer à régler les cancans ailleurs, bonsoir. »

 

Journal de Saint-Barth N°1377 du 27/05/2020

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