Saint-Barth -

La majorité territoriale plongée dans la discorde

Les moments de quiétude et de sérénité ont été des plus rares lors des 6h22 de réunion du Conseil territorial du jeudi 29 juin. Particulièrement dans les rangs de la majorité au sein de laquelle de nombreuses discordances sont venues parasiter l’harmonie de façade péniblement affichée depuis l’élection de mars 2022. Un vote a illustré de manière flagrante les tensions qui règnent en interne depuis des mois. Il s’agit de la 23e et dernière délibération inscrite à l’ordre du jour. Elle concernait l’achat par la Collectivité de douze des vingt appartements des Résidences de Saint-Barth, à Petit-Cul-de-Sac, pour la modique somme de 22,25 millions d’euros. Un point sur lequel les avis ont divergé au point de voir ­s’effriter la majorité du président Xavier Lédée.

Dix votes contre, une abstention
De fait, après un débat aussi long que chaotique, la proposition d’achat a été rejetée par dix élus. Les six du groupe d’opposition Saint-Barth d’Abord (SBDA) composé de la sénatrice Micheline Jacques, de Romaric Magras, d’Alexandra Questel, de Sandra Baptiste, de Francius Matignon et de Rudi Laplace auxquels se sont ajoutés quatre voix de la majorité : la première vice-présidente Marie-Hélène Bernier, le quatrième vice-président Maxime Desouches, Pascale Minarro-Baudoin et David Blanchard. Sans oublier le vote d’abstention de Bettina Cointre, absente mais qui avait donné délégation à Marie-Hélène Bernier. Il ne restait alors plus que huit voix « pour ». Insuffisant pour entériner l’achat. Un résultat sous forme de camouflet pour le président Lédée qui avait pourtant été averti des réticences de certains membres de sa majorité à le suivre dans cette acquisition.
La première à s’être exprimée en séance fut Marie-Hélène Bernier. « Je ne suis pas très à l’aise avec ce point, a-t-elle déclaré. ­L’emplacement est agréable, les logements ont bien été refaits. Mais j’ai appris qu’il y a un problème d’accès puisque la route est privée et impraticable. » La première vice-présidente énumère alors une série d’incertitudes quant à la situation de ces résidences. « On a un problème de logement, je suis d’accord pour acheter plutôt que de construire, mais pas à n’importe quel prix, explique-t-elle. On donnerait une commission de 1,2 ­million à une agence immobilière, donc la Collectivité favoriserait la spéculation. J’assume mes responsabilités et je voterai contre ce soir. » Une position qui ne peut que satisfaire l’opposition qui, par le biais de Romaric Magras, enfonce le clou en détaillant les raisons pour lesquelles un tel investissement lui semble inopportun. « On n’est pas opposé à acheter des biens mais encore faut-il que ces acquisitions soient faites à un rapport qualité-prix raisonnable et, sur ce coup, on est ­vraiment au-dessus du prix», estime le conseiller territorial.

« Il n’y a pas de marché ! »
Le temps pour Xavier Lédée de préciser que l’évaluation faite par France Domaine a été effectuée en connaissance de tous les paramètres concernant les douze logements et il reçoit le soutien de Marie-Angèle Aubin, 3e vice-présidente. « On a un gros souci pour loger du personnel et je vous mets au défi de trouver tout de suite des solutions, lance l’élue. Et qui peut me dire aujourd’hui quel est le prix du marché ? Il n’y a pas de marché ! » Une réflexion qui devrait conforter le Conseil économique, social, culturel et environnemental (CESCE) dans sa conviction qu’il est désormais nécessaire de créer un observatoire économique à Saint-Barthélemy. La parole échoit à Micheline Jacques, qui peste : « La Collectivité est censée donner l’exemple et on va acquérir des logements non conformes avec des piscines et une petite citerne. Comment être crédible auprès des administrés après ça ? »

« L’inertie, ça m’angoisse »
Les échanges se poursuivent et s’enveniment quelque peu avant que Dimitri Lédée, manifestement agacé, ne se lance dans un long discours : « Je voudrais qu’on se demande quelle politique on va adopter. Je rappelle nos promesses électorales, tous les groupes confondus, qui consistaient à dire aux habitants que nous allions régler leurs problèmes rapidement. Je pense qu’ils attendent encore. Et que nous allions améliorer leur qualité de vie. Si elle passe par de nouvelles constructions dans leur quartier, je demande à voir. Il me semble qu’on a été élu pour régler des problèmes sans engager davantage de constructions. Je remarque qu’il y a encore énormément de béton. On arrive à dépenser des millions pour des murets en pierre, et ça ne fait pas de vifs débats comme ce soir pour des logements. » Et de conclure sans ménagement : « L’inertie, ça m’angoisse. Et je pense qu’elle angoisse aussi la population. Nos choix peuvent se discuter, mais il va peut-être falloir que l’on mette tous de l’eau dans notre vin et que l’on travaille dans le même sens. » Une vision idéale de la gouvernance, dès lors que celle-ci n’est confrontée à aucune contradiction. Or, la réunion montre que sur certaines questions, les avis au sein de l’assemblée divergent.

Deux analyses de la discorde
Cette réunion du Conseil du 29 juin peut être analysée sous des angles très différents. Dans les rangs du groupe d’opposition Saint-Barth d’Abord, il ne fait guère de doute que la prise de position de la première vice-présidente contre le président Lédée a été vécue comme une petite victoire. En effet, depuis la fusion des listes de Marie-Hélène Bernier et de Xavier Lédée dans l’entre-deux tours de l’élection territoriale, Romaric Magras n’a eu de cesse de répéter que cette union de circonstance ne tiendrait pas la distance. Jusqu’à présent, les différences de vue et d’opinion entre le président et sa première vice-présidente n’avait pas empêché certains dossiers d’avancer. Comme celui de la santé, sur lequel Marie-Hélène Bernier planche avec ferveur depuis sa prise de fonction. En sera-t-il de même dans les prochains mois ? Les prochaines semaines ? Cependant, le déroulement du Conseil territorial peut être observé sur une autre perspective.
La majorité comme l’opposition sont multiples. Elles ont été constituées de personnalités au parcours et aux objectifs qui diffèrent sur de nombreux plans. Par conséquent, il n’a pas été rare d’entendre des voix s’élever en séance contre leur propre camp pour s’opposer à des prises de positions ou des délibérations qui allaient à l’encontre de leurs convictions. Dans les rangs de la majorité comme dans ceux de l’opposition. D’une certaine manière, le conseil territorial de Saint-Barthélemy est en train d’expérimenter une situation proche de celle de l’Assemblée nationale depuis les dernières élections législatives. Certes, Xavier Lédée dispose de la majorité sur le papier, mais comme l’a démontré la séance du 29 juin, elle peut se déliter lorsqu’elle est confrontée à des questions clivantes. Par conséquent, pour ne pas sombrer dans l’inertie tant redoutée par Dimitri Lédée, la présidence et les conseillers territoriaux semblent désormais être dans l’obligation de faire de… la politique. Ou, plus simplement, de multiplier les échanges avec tous les élus, les impliquer davantage pour trouver des solutions qui conviennent, si ce n’est à tous, à tout le moins à une majorité. Principalement sur les sujets qui présentent des risques de fâcherie. Ce qui pourrait éviter aux membres du Conseil de se séparer, comme jeudi dernier, sur une note des plus embarrassantes en termes de gouvernance.
 

Les pêcheurs pris dans leurs filets
Parmi les délibérations les plus attendues lors de la réunion du Conseil figuraient celles qui concernaient l’accès au litre d’essence à un tarif préférentiel pour les marins pêcheurs de l’île. Ou, plus précisément, pour les membres du Comité des pêches et de l’aquaculture. Un point qui a déclenché deux débats. Le premier entre les conseillers territoriaux puisque certains ont exprimé leur incompréhension et leur désaccord sur le fait que seuls les pêcheurs du Comité pourraient bénéficier de ce tarif d’un euro le litre à la pompe. « C’est un peu obtus de dire qu’il faut obligatoirement être au comité », a déclaré Rudi Laplace avant d’insister : « Pour moi, c’est anti-démocratique. » Pour Romaric Magras, il s’agit d’un précédé « discriminatoire ». Réponse de Maxime Desouches, 4e vice-président chargé du dossier pêche : « On a besoin d’une filière organisée et il suffit juste aux pêcheurs de payer 400 euros pour profiter de ce tarif. Je ne vois pas où est le problème. » Et de préciser que c’est entre la société distributrice Rubis, la Collectivité et le Comité que l’accord a été passé.
L’autre débat, plus juvénile, a principalement opposé les représentants du Comité des pêches présents dans la salle des délibérations à Maxime Desouches. L’élu a longuement expliqué que « la Collectivité a fait énormément pour la filière pêche » et a exprimé « une grosse déception en constatant que les pêcheurs n’ont pas fait l’effort de fournir les quelques documents qui leur ont été demandés ». En l’occurrence, des fiches de captures. Les pêcheurs ont répliqué en assurant que lorsqu’ils bénéficieraient du tarif préférentiel promis par le président, ils pourraient commencer à fournir ces fiches. Une position de négociateur qui agace Maxime Desouches et d’autres élus. Résultat : des votes partagés avec sept abstentions pour la première délibération (fixation des tarifs sur le port, adoptée), 9 pour la deuxième (tarifs pêcheurs, adoptée) et 8 pour la troisième (aide individuelle aux membres du Comité des pêches, adoptée) auxquelles s’ajoutent trois « contre », dont le vote de Maxime Desouches, Marie-Hélène Bernier et Pascale Minarro-Baudoin.

Taxis, transport, santé…
Si la grande majorité des points inscrits à l’ordre du jour du Conseil ont été adoptés, nous reviendrons toutefois dans le détail sur certaines délibérations dans notre prochaine édition.

La carte et le Code de l’urbanisme en révision
Les élus se réuniront une nouvelle fois en conseil le jeudi 13 juillet à 17 heures. Cette fois pour examiner trois délibérations qui porteront sur la mise en révision de la carte de l’urbanisme et deux modifications du code de l’urbanisme.

 

 

Journal de Saint-Barth N°1527 du 06/07/2023

Un conseil territorial sens dessus dessous
Fête des quartiers du Nord