Saint-Barth - Hélène Bernier

Hélène Bernier : « Si je suis présidente, je ne serai pas seule »

La conseillère territoriale annonce officiellement sa candidature dans la course à la présidence de la Collectivité. Elue d’opposition pendant cinq ans, elle assure avoir « les épaules » pour prendre la succession de Bruno Magras et entend « travailler en équipe » pour le bien de Saint-Barthélemy. De fait, pour illustrer cette volonté, c’est avec l’une de ses colistières, Nelly Van de Broek, qu’elle a répondu à nos questions. (Hélène Bernier est la deuxième personne à se déclarer candidate après Xavier Lédée - JSB 1456). Entretien.

Dans un premier temps, vous avez hésité à présenter une liste. Qu’est-ce qui vous a finalement décidée à vous lancer dans cette campagne pour les élections territoriales (20 et 27 mars prochains) ?
L’avenir de Saint-Barth, ce n’est pas rien. Si on ne s’engage pas, on risque de perdre l’île. Les gens qui sont sur ma liste aujourd’hui sont des personnes qui sont attachées à Saint-Barth, qui en sont originaires ou qui y sont depuis longtemps. On partage un amour pour Saint-Barth. Donc, on a l’intention de continuer à habiter là et, pour ça, on veut préserver l’île, ce que l’on a comme héritage : une bonne économie et une île qui fonctionne. Mais aujourd’hui, il faut équilibrer le développement sinon on risque de tout perdre. Bruno Magras a fait de bonnes choses pour Saint-Barthélemy mais ces derniers temps il a mené une politique de développement à outrance qui a saccagé une bonne partie de l’île. On ne peut plus continuer comme ça. Et puis à ma connaissance, il y a deux têtes de liste déclarées pour les élections (en réalité, seul Xavier Lédée s’était officiellement lancé dans la campagne avant cet entretien, ndlr). Xavier Lédée, dont on ne sait pas où il va politiquement. Il n’a pas de ligne claire. Il est dans l’opposition mais dit qu’il n’est pas dans l’opposition. Il est toujours dans le compromis et, en politique, on ne peut pas l’être tout le temps. Surtout, il n’a rien fait en dix ans passés au conseil territorial. Et puis il y a Romaric (Magras) qui va soi-disant remplacer Bruno Magras. Évidemment, ce sera Bruno qui tirera les ficelles et la politique ne changera pas.

Vous achevez un mandat dans une position d’opposante. Quel bilan tirez-vous de ces cinq dernières années au conseil territorial ?
C’était très intéressant. Je pense que j’étais l’unique opposante à Bruno Magras, la seule à lui tenir tête. Même si, pour des sujets de bon sens et des dossiers qui font du bien à la population, être élue de l’opposition c’est recevoir des « non » systématiques à ses propositions. Donc il faut se bagarrer. Je prends l’exemple de la réintroduction des bacs poubelles dans les quartiers, j’ai dû batailler pendant deux ans pour en faire accepter l’idée à la Collectivité. Juste parce que c’était une proposition qui venait de moi. Après, c’est un mal pour un bien car ça permet de montrer que je ne lâche pas et que pour des dossiers de bon sens, aller jusqu’au bout de ses convictions et de son travail, c’est montrer à la population que c’est possible. Bien sûr, ça demande beaucoup d’énergie, du temps, des sacrifices, mais le jeu en vaut la chandelle.

Et comment avez-vous vécu la découverte de la vie d’une collectivité de l’intérieur, son fonctionnement, sa politique ?
Quand je suis arrivée en politique en 2017, pour mon premier mandat, je suis tombée de haut. Pour moi, quand on est élu de la population, on est là pour faire des choses pour l’île et la population, pas pour son groupe politique. Je me suis rendue compte que ce n’était pas comme cela que ça fonctionnait. Donc je suis tombée de haut, à plusieurs reprises. Mais justement, si je repars en politique, c’est pour ne pas fonctionner comme ça. Et si des propositions d’une opposition se présentent et qu’elles vont dans le bon sens pour l’île, il sera stupide d’aller contre. Même si elles ne viennent pas du même groupe politique. Pendant cinq années passées dans l’opposition, j’ai voté à 80% pour les délibérations de la majorité.  

Présidente de St Barth Essentiel, vous avez pris des positions tranchées dans plusieurs dossiers, notamment en terme d’environnement. Quels vont être les grands axes de votre programme, de votre campagne ?
Il y a du travail. Beaucoup de travail, dans plein de domaines. Je suis plus connue pour mes actions pour l’environnement, mais il n’y a pas que ça. C’est un tout. Il y a la santé, le social... A l’heure actuelle, la Collectivité ne dédie que 1,1% de son budget au social. Or, cette question va prendre des dimensions importantes si l’on ne fait rien. Il faut donc y accorder plus de moyens. Par exemple, il n’y a pas de planning familial à Saint-Barth. La question du transport est également importante. On circule tous en voiture et on connait tous le nombre de minutes que l’on perd dans les embouteillages. Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas de transport en commun aujourd’hui à Saint-Barth, qui diminuerait le trafic et réduirait le nombre d’accidents. Quant aux gros axes du programme, nous y travaillons avec les membres du groupe. Nous avons encore un mois, jusqu’au 28 février (date du dépôt légal des listes) pour le faire. On y travaille avec des gens qui ont des compétences dans des domaines différents : la santé, la fiscalité, l’économie, l’éducation ou encore la transition énergétique, un sujet difficile mais inévitable et dont on n’a pourtant que très peu parlé au conseil territorial durant ce dernier mandat. Or, combien de temps pourrons-nous continuer à brûler du fuel pour produire de l’électricité ?

Quelle a été votre démarche pour constituer votre liste ?
La première étape a été d’inciter les gens à s’inscrire sur les listes électorales ! Je me suis rendue compte qu’il y avait plein de gens qui nous soutenaient mais qui n’étaient pas inscrits. Ensuite, j’ai rencontré beaucoup de gens. Presqu’une dizaine de personnes par jour pendant quinze jours. Des gens au profil très différents : des directeurs d’hôtel, des présidents d’association, des commerçants, des notaires... Pour recueillir leur avis sur l’évolution de l’île, notamment. J’ai constaté que tous font le même constat : on perd notre identité, on perd notre qualité de vie. Les problèmes de sécurité ressortent également. Par le biais d’un sondage, on a aussi constaté que la principale préoccupation des gens est de freiner l’urbanisation. A ce sujet, je tiens à préciser que mon idée n’est pas d’arrêter l’urbanisation mais de poursuivre le développement d’une manière plus modérée, plus adaptée à l’île. Préserver l’environnement, c’est un tout : la mer, les coraux, tout ce qui fait notre qualité de vie et qui fait notre richesse. Est-ce que les touristes ont envie d’aller se baigner dans des eaux polluées par les sceptiques des hôtels ? Moi, je vis du tourisme. Si les plages, comme le reste de l’environnement, ne sont plus propres, il n’y aura plus de touristes. Il faut faire attention à l’image de l’île.
 
Quelle est votre position sur l’évolution statutaire de Saint-Barth, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation ?
Il y a tout à faire. Dans la santé notamment, quand j’interroge des professionnels, certains me disent que le système de santé à Saint-Barth a régressé de dix ans. Donc il faut prendre le dossier en main et voir ce qu’il est possible de faire ou pas, car c’est une compétence de l’Etat. Pendant le dernier conseil territorial, Bruno Magras a évoqué la possibilité d’adopter un système semi public, semi privé, comme l’hôpital Foch à Paris. Je suis élue depuis cinq ans mais on ne me donne pas les dossiers car je suis dans l’opposition. Donc, si j’ai le pouvoir décisionnaire, je prendrai le dossier en main, je me ferai accompagner par des organismes et des gens compétents et on avancera. Il y a aussi des choses que l’on peut faire comme, j’y reviens, créer un planning familial.  

Comment envisagez-vous l’après Bruno Magras et son lourd héritage ? Vous imaginez-vous dans la peau de la présidente de la Collectivité territoriale ?
C’est une énorme responsabilité. Je sens que j’ai les épaules pour l’assumer. J’ai cinq années d’expérience en tant qu’élue. J’ai démontré, je pense, que je pouvais défendre mes idées. La victoire judiciaire dans le dossier de l’Etoile a marqué un point sur la suite de l’urbanisation à Saint-Barth. On ne peut plus faire n’importe quoi. On ne doit plus faire n’importe quoi. Bruno (Magras) dit qu’il y a moins de constructions, mais ces constructions sont bien plus grosses qu’avant. Est-ce que c’est ce que l’on veut ? Moi, si je suis présidente de la Collectivité demain, et je m’en sens capable, je ne serai pas seule. L’idée n’est pas de mener une politique pyramidale comme Bruno Magras, mais que chaque colistier ait des responsabilités dans son domaine de compétence. Et puis il y a 270 employés à la Collectivité, certains depuis longtemps, donc des gens qui travaillent ! Il y a des directeurs qui savent ce qu’ils font et comment ça fonctionne.

 

(Question à Nelly Van de Broek) Pourquoi avez-vous accepté de suivre et de soutenir Hélène Bernier ?
« Cela fait très longtemps que j’habite sur l’île et j’ai vu les changements se produire. Pas forcément dans le bon sens. Trop de voitures, trop de monde désormais. Je trouve qu’il y a beaucoup plus d’agressivité avec les nouveaux intervenants dans des hôtels ou des restaurants, etc. On perd la gentillesse et la convivialité qui existait avant. Il faut que le rythme change. Tout s’accélère trop vite et c’est hors de contrôle. Et puis je suis mère de deux enfants et il y a un gros souci au niveau de l’éducation. Hélène est mère et le sait aussi. Je n’ai jamais fait de politique, je suis là avec une bannière qui dit « il y en a marre ». Je me rends compte qu’il y a tout de suite beaucoup d’agressivité en politique. Avec des conflits qui n’apportent rien, alors que les conflits peuvent être constructifs. Mais quand personne en face ne veut écouter, c’est compliqué. Il faut travailler en bonne intelligence. Aujourd’hui, il faut un changement. »

 

Journal de Saint-Barth N°1459 du 10/02/2022

Bruno Magras quitte la scène politique