Saint-Barth -

Débat agité sur l’urbanisme en général et le futur de l’Emeraude Plage en particulier

Le conseil territorial de vendredi a commencé d’entrée par un débat houleux sur le futur de l’Emeraude Plage et la gestion de l’urbanisme en général. Bruno Magras a répondu aux vives critiques de l’opposition Saint-Barth Autrement, qui souhaite un ralentissement significatif de la construction, notamment celle des projets d’hébergement touristique.

 

Le projet du futur Emeraude Plage, un hôtel de 50 chambres qui doit voir le jour sur la plage de Saint-Jean après trois ans de travaux, cristallise les critiques de ceux qui jugent que le développement de l’île est excessif. Il fait d’ailleurs l’objet d’une pétition en ligne qui a réuni plus de 2.200 signataires (lire page suivante).

 

Sans être à l’ordre du jour, la question sensible de l’urbanisme a agité les débats en ouverture du conseil territorial du vendredi 7 février. Hélène Bernier (Saint-Barth Autrement) avait adressé en amont de la séance des questions écrites au président Bruno Magras, afin qu’il y réponde en assemblée. « La carte d’urbanisme votée en 2017 (…) a autorisé les constructions en R+1 dans certaines zones littorales. C’est ainsi qu’a été rendue possible la délivrance du permis de construire d’un hôtel de 50 chambres en lieu et place de l'Emeraude plage. Permis pour lequel la commission d’urbanisme a rendu un avis négatif et qui fait aujourd’hui l’objet d’une levée de boucliers dans la population et l’industrie touristique. Ne peut-on pas geler la délivrance du permis dans l’attente de l’adoption de la nouvelle carte d’urbanisme, sachant que celle 2017 est en cours de révision ? » s’enquiert l’élue.

 

Le projet Emeraude sera modifié

« Ma première réponse serait de dire ici que toutes celles et tous ceux qui se sont opposés à la carte d’urbanisme jouent contre l’intérêt propre de la maîtrise de l’urbanisme à Saint-Barthélemy. Car si nous n’avions pas la carte d’urbanisme, nous serions contraints d’appliquer le règlement national de l’urbanisme qui est beaucoup plus souple », répond Bruno Magras. « Quand on fait des règles, on donne des droits. Si la carte est mal faite il faut la revoir. Mais on ne peut pas, une fois qu’on a adopté des règles, s’opposer à leur application. Ce permis de construire devait être accordé, nous n’avions pas d’éléments pour le refuser ni pour surseoir à statuer. »

Il reconnaît toutefois que la hauteur des bâtiments autorisée par la carte d’urbanisme, sur la plage, est une erreur, bien qu’autorisée par les règlementations locales. «J’ai réuni le conseil exécutif avec la commission d’urbanisme et nous avons convenu avec le pétitionnaire qu’il dépose un permis modificatif, dans lequel il y a un abaissement des volumes côté plage », informe le Président.

 

Autre question d’Hélène Bernier : « Le CTTSB estime à 800 le nombre de villas sur l’île. Ça fait une villa pour douze habitants, c’est énorme. Peut-on surseoir à statuer sur ces villas ? » Même réponse : le sursis à statuer ne peut pas être utilisé à l’envi (lire encadré). Nils Dufau, président du Comité du tourisme, apporte une précision : « Effectivement on compte 800 villas, mais ce chiffre inclut aussi les meublés ; ça peut être quelqu’un qui loue quinze jours dans l’année. Les socioprofessionnels estiment, eux, à moins de 600 le nombre de villas sur l’île. »

 

Les élus Saint-Barth Autrement estiment qu’une limitation de la construction à destination de la location saisonnière serait bienvenue. «Lorsque quelqu’un achète un terrain et construit, quelle règle pourrait-on avoir pour l’empêcher de louer sa villa?» questionne Bruno Magras. « Nous avons pris des mesures contre les grosses villas ; aujourd’hui pas un projet ne présente un module supérieur à 150 m2. Ceci étant quand vous avez quelqu’un qui achète 2.000 ou 3.000 m2 de terrain, comment lui interdire de faire 450m2 ? Si vous avez des solutions, je suis preneur, mais des solutions légales, pas des propositions farfelues faites derrière un micro. »

 

Hélène Bernier insiste : « Ma question porte sur les nouveaux permis à destination de location saisonnière. Est-ce qu’on continue à construire des villas, alors que beaucoup étaient vides à Noël et au jour de l’an ? » « Quelqu’un qui a un terrain et dépose une demande de permis, je ne vais pas lui demander ce qu’il compte faire avec sa villa », rétorque Bruno Magras.

« Il faut absolument dans ce cas qu’on retire l’article 132.6 qui précise les destinations », intervient Maxime Desouches. « Aujourd’hui on peut tout à fait décider de surseoir à statuer sur tous les projets en dehors des projets d’habitation. Je ne dis pas d’arrêter la construction, mais on fait un stop sur les maisons de location touristique, et pas sur les destinations habitations. »

« Tu penses que devant un tribunal administratif on pourra refuser un permis parce que c’est une villa de location ? » moque Bruno Magras.

« Si on l’écrit dans nos règles, absolument ! Il faut justement faire rentrer cette distinction dans le code pour pouvoir agir. J’ai envoyé un rapport à ce sujet au mois d’août à la commission d’urbanisme, et je n’ai eu aucun retour », explique Maxime Desouches. « On avait une réunion mercredi où on devait en débattre, tu n’es pas venu. Alors je ne comprends pas !», s’emporte Juliette Gréaux, présidente de ladite commission. Maxime Desouches rétorque : «Depuis le mois d’août vous avez ce document, et personne ne peut me répondre aujourd’hui ?»

 

Villas de location vs maisons d’habitation

Bruno Magras reprend la parole : « La vérité Maxime, si on veut interdire les villas de locations, il faut le faire de la même manière que l’on interdit certaines zones artisanales ou d’activité, par exemple. Il faut créer des zones où la construction de villas serait interdite. Alors dites-moi quelles zones ? », demande-t-il circonspect. « Et pourquoi on ferait pas des zones ? » embraye Hélène Bernier. « On paie Baffert depuis des années, on a des commissions urbanisme, et vous n’avez toujours pas réfléchi à ça ! » « On a fait un gros travail en commission urbanisme depuis 2017 », défend Juliette Gréaux. « Combien de fois j’ai voulu participer, et combien de fois tu m’as dit non ? » attaque Hélène Bernier. « Lorsqu’on est en commission urba’ pour étudier les dossiers je ne vois pas ce que tu vas venir faire. Je ne t’ai pas invitée aussi parce qu’il y a des manières de faire! » s’agace Juliette Gréaux. Le ton monte entre les deux élues, et le Président écourte : « On observe quand même un fort ralentissement des surfaces de construction dans le courant 2018-2019, si on enlève les reconstructions. Le processus va se poursuivre, je vous garantis que les surfaces construites vont diminuer d’année en année. »

 

Maxime Desouches le coupe : « Il faut aussi revoir la destination des permis. Chaque nouvelle maison de location à la semaine cause des problèmes, et entraîne de nouveaux besoins de logement. ça devient nocif, ça va tuer l’île petit à petit. » «D’accord, mais si on diminue le rythme du BTP cela va se traduire par une baisse des occupations de logements et augmenter les logements disponibles», rassure Bruno Magras.

« Il y a une réalité qu’il ne faut pas négliger », poursuit le Président. « Dans la mesure où on impose aux hôtels et villas de construire des logements pour leur personnel, un, on augmente la construction sur l’île ; deux, on fait une économie en circuit fermé. Exemple avec l’Emeraude plage. Il vient d’acheter un terrain à Toiny / Petit Cul de Sac, qui d’ailleurs a été vendu par des gens de l’île… »

 

La disparition des Saint-Barth ?

Il s’interrompt pour raconter une anecdote : «Une question m’a été posée l’autre jour : est-ce qu’il va rester encore des Saint-Barth dans vingt ans ? J’ai répondu non. Si tous les Saint-Barth continuent à vendre ce qu’ils possèdent, forcément, il n’y en aura plus. Mais en même temps il ne faut pas cracher dans la soupe. Si l’économie est ce qu’elle est, c’est parce que toute la population a bénéficié du développement touristique. Maintenant si on dit aux hôtels “vous faites vous-mêmes vos logements”, l’économie est en circuit fermé. L’hôtel loge, il ne paie plus de loyers aux propriétaires. Demain le BTP ralentit, la moitié des Portugais s’en va, que feront les gens de leurs logements ? »

Maxime Desouches n’est pas convaincu : « Même les jeunes n’arrivent plus à se loger, ils commencent dans la vie avec 2.000 euros par mois, ce qui est bien, et ne trouvent pas à se loger. » Pas de quoi émouvoir Bruno Magras : « C’est un autre motif. Ceux dont tu parles devraient faire un recul en arrière et regarder le nombre de propriétés vendues par leurs proches, y compris des gens de l’île, a qui on a donné des permis et qui ont vendu peu de temps après. Je ne suis pas né pour faire le bonheur des gens malgré eux ! » Maxime Desouches : « C’est pour ça que ce que je propose est un moyen d’atterrir en douceur ; on est en total déséquilibre aujourd’hui. Si tu n’as que des maisons de location et pas des maisons de logement, tu as un problème.»

Bruno Magras : « Il y aussi une chose, c’est que des gens ne veulent plus louer à l’année car ils trouvent leur maison en lambeaux ! Et si demain ils veulent louer sur Airbnb, qu’est-ce qu’on fait?» « Continuons comme ça, tout va bien », ironise Maxime Desouches.

 

La vice-présidente Micheline Jacques abonde dans le sens du Président, en montrant aussi du doigt les responsabilités individuelles des locaux : « Cela fait 19 ans que je suis dans l’urbanisme. Vous voyez des gens de l’île qui sont venus pleurer pour mettre leur terrain en zone constructible, pour faire leur maison. J’étais la première à me battre pour les défendre ; six mois après le terrain était mis en vente. Après il ne faut pas se plaindre. Ceux qui sont les plus virulents, ce sont eux qui ont vendu à outrance. C’est facile de toujours accuser les élus ! Il y a des spécialistes qui, dès qu’on met des règles, s’amusent à les contourner. »

 

 

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Mieux comprendre le sursis à statuer

Il était juridiquement impossible de surseoir à statuer sur le projet Emeraude Plage, assure Bruno Magras, qui demande à Philippe Baffert, le Monsieur Urbanisme de la Collectivité, de rappeler le fonctionnement de ce principe à l’assemblée. « On peut surseoir à statuer sur les demandes de permis de construire qui seraient contraires à une future carte d’urbanisme, à partir du moment où d’une part on a prescrit la révision de la carte (ce qui était le cas ici, ndlr), et d’autre part, si les travaux d’étude de la nouvelle carte sont suffisamment précis pour justifier le sursis à statuer (ce qui n’était pas le cas ici, ndlr). Et là, ce n’est pas seulement une possibilité, mais on a l’obligation de surseoir à statuer. » Lors de la prescription de la révision de la carte d’urbanisme, l’intention d’abaisser les hauteurs maximales des constructions avait bien été émise, mais dans des termes trop imprécis pour que le conseil exécutif puisse justifier un sursis à statuer. Philippe Baffert explique qu’à la suite d’une réunion tenue il y a quelques jours, Bruno Magras a signé une note contenant des éléments détaillés notamment sur les hauteurs des bâtiments. Cette note doit être publiée ces jours-ci sur le site internet de la Collectivité ; une fois que ce sera fait, elle servira de base pour permettre aux élus de surseoir à statuer sur la question de la hauteur, pour les futurs permis. « Non seulement vous pourrez, mais vous devrez surseoir à statuer », insiste Philippe Baffert. Sauf en cas de certificat d’urbanisme antérieur. « On ne peut pas non plus refuser un projet tant que la nouvelle carte d’urbanisme n’est pas acceptée. Le sursis à statuer est une mesure de sauvegarde en attendant le changement de la loi. »

 

JSB 1342






Journal de Saint-Barth N°1362 du 13/02/2020

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