Autrefois omniprésentes sur l’île, les cases traditionnelles de Saint-Barthélemy ont peu à peu disparu du paysage. Témoins d’une époque, elles portaient en elles un savoir-faire local, une adaptation au climat, mais aussi une histoire sociale et familiale, forte. Aujourd’hui, rares sont celles qui subsistent encore.
A partir de ce mercredi 28 mai, au musée du Patrimoine, le Brigantin, une exposition rend hommage à ces constructions emblématiques qui faisaient autrefois pleinement partie du paysage urbain et de l’identité de l’île. « Il s’agit d’un marché qui a été passé et publié, pour effectuer l’inventaire du patrimoine bâti et architectural, avec la société Segat qui s’est donc occupée de cet inventaire », explique Bettina Cointre, vice-présidente chargée de la culture. Cette exposition s’adresse à tout le monde, le but étant de faire découvrir l’habitat traditionnel et les cases ; elle propose aussi une revisite plus contemporaine mais avec des éléments issus des cases traditionnelles : « On va avoir trois expositions qui vont s’enchaîner. Là c’est la première, avec les cases traditionnelles et les cases à vent. La seconde partie sera plus sur les maisons traditionnelles et les boutiques de quartiers. Et la troisième sur l’architecture de Gustavia, avec la partie bâtiments suédois et les bâtiments typiques de de la ville. » Ces habitations, aujourd’hui rares, sont pourtant essentielles pour comprendre l’évolution architecturale de Saint-Barthélemy.
Entre luxe et mémoire, un équilibre à trouver
Aujourd’hui, leur mémoire est précieuse. Alors que l’image de l’île s’est transformée dans les années 1980 avec le développement touristique de luxe, ces maisons ont peu à peu laissé place à des constructions plus modernes. L’exposition au Brigantin rappelle l’importance de préserver ce qui reste. « Les faire découvrir, c’est aussi parler de la vie dans les cases, de leur histoire », souligne Bettina Cointre qui insiste sur le fait que cette mise en lumière est une priorité : « C’est un peu ce que j’ai essayé de mettre en place depuis le début de ce mandat. J’ai l’impression qu’on avait un peu tourné le dos à tout ce qui était local, en se disant que peut-être ce n’était pas compatible avec le tourisme qu’on voulait valoriser. Or, ça peut au contraire attirer des touristes. » C’est dans ce sens qu’interviennent des actions plus larges.
« Avec la commission, on a mis en place des ateliers sur le tressage de paille, les journées du patrimoine, on a essayé de faire intervenir pas mal de personnes pour mettre en avant les savoir-faire, les tenues traditionnelles, au niveau culinaire aussi », explique l’élue.
La préservation des cases traditionnelles pose des défis concrets. À Saint-Barthélemy, seules quelques rares cases très anciennes, subsistent encore aujourd’hui. Ces dernières, vestiges du patrimoine du XVIIIe–XIXe siècle, incarnent un style architectural unique, et il importe de les préserver et valoriser. Mais le cadre institutionnel reste flou. « Il n’y a pas de politique de préservation pour le moment, indique Bettina Cointre. J’aimerais et j’espère, mais le problème c’est que les habitants aimeraient… sauf si ça les concerne personnellement. » La démarche a suscité des réactions contrastées. « Il y a eu deux types de réactions, détaille l’élue. Des gens qui étaient contents qu’on valorise notre patrimoine, et d’autres très méfiants » Pourtant, Bettina Cointre assure qu’une volonté existe encore sur le terrain : « On a vu qu’il y avait pas mal d’adaptations et des gens qui avaient à cœur de garder leur maison, même s’ils la font évoluer en rajoutant des choses autour. »
A travers cette exposition, La Collectivité territoriale amorce un travail de fond sur la reconnaissance architecturale de l’île, encore largement absent du cadre patrimonial.
La case traditionnelle, témoin d’une mémoire en péril
©Emilie Duhard
Le recensement mené cette année a permis d’identifier près de 150 cases traditionnelles encore debout. Un chiffre inattendu, qui relève l’ampleur d’un patrimoine souvent invisible, oublié ou mal connu, y compris de ceux qui l’habitent. « Quand j’ai travaillé sur ce recensement, certains habitants installés dans des cases se demandaient même s’il en restait encore », témoigne Émilie Duhard, une architecte impliquée dans la démarche.
Ce travail a mis en lumière des trésors architecturaux dissimulés à travers l’île. « Les plus belles sont souvent cachées…ou abandonnées », confie l’architecte. Pourtant elles portent en elles l’histoire sociale de Saint-Barthélemy : une architecture modeste, née des moyens disponibles de l’époque, construite pierre par pierre, planche par planche, au fils des revenus d’une vie. « A Flamands, un monsieur m’avait raconté comment il avait bâti sa maison progressivement et qu’après son mariage seulement il avait pu y rajouter des fenêtres », raconte Émilie Duhard.
A travers ces récits c’est toute une mémoire locale qui refait surface. Car la case créole n’est pas seulement un type d’habitat : elle était un marqueur social, le reflet d’une époque où l’on construisait au rythme de ses moyens, en fonction des ressources naturelles disponibles. Bardage en cloboard (revêtement extérieur en bois), toit à quatre pans, petites proportions, ancrage dans le sol grâce aux racines d’arbres ; gaïac ou bois de rose. Tout dans sa structure répondait aux contrainte du climat comme aux réalité économique.
Les familles, souvent modestes, bâtissaient peu à peu, sans banque ni prêt, selon les revenus récoltés au fil du temps. Et cette architecture « légère » a pourtant prouvé sa résistance, comme l’explique Émilie Duhard. Bien orientées, avec une faible prise au vent, ces maisons ont traversé les cyclones grâce à des choix d’implantation adaptés.
« Ce n’est pas l’architecture qui les faits disparaitre, mais le prix des terrains »
Mais aujourd’hui, ce patrimoine se fragilise. Certes, une partie des cases est entretenue, mais la majorité sont en indivision ou à l’abandon.
Certaines tombent en ruine, faute de travaux, d’autres disparaissent au profit de constructions plus rentable. « Ce n’est pas l’architecture qui les fait disparaitre, mais le prix des terrains. Beaucoup préfèrent vendre ou construire des villas à louer » déplore Émilie.
Car à Saint-Barthélemy, l’attrait économique pèse lourd. Les terrains valent une fortune, et les projets immobiliers répondent plus souvent à une logique de profit qu’à un souci patrimonial « l’architecture moderne ici, ce sont les toits-terrasses blancs façon Miami, Il y a bien quelques clients qui veulent revenir à un style plus local, mais c’est un sur cinquante… » raconte l’architecte.
Malgré tout, un retour timide à une inspiration créole se dessine. Les proportions évoluent, les volumes s’agrandissent, mais certains signes réapparaissent dans certaines constructions. Et renaît « Quand je parle du travail de recensement à certains clients, ça les interpelle, ça les touche » confie-t-elle.
Préserver les cases traditionnelles, c’est bien plus qu’un geste architectural : c’est maintenir le lien entre une terre, une histoire et ceux qui l’habitent encore. A Saint-Barthélemy, ce lien s’effiloche, il tient comme les fondations des anciennes maisons à quelque racines solides.
Préservation du bâti vernaculaire : à chaque île sa méthode
©Stock Adobe/ Ayma
La disparition progressive des cases traditionnelles n’est pas propre à Saint-Barthélemy. D’autres îles comme Saint-Martin ou la Guadeloupe, sont confrontées à la même érosion de leur patrimoine. Mais leurs réponses varient sensiblement d’une île à l’autre.
A Saint-Martin, île voisine partageant une histoire commune, ces petites habitations en bois ont elles aussi largement disparu. L’urbanisation rapide, les ouragans dévastateurs, notamment Irma en 2017, et le manque de dispositifs de conservation ont fortement réduit la présence des cases créole. Si quelques vestiges demeurent dans des quartiers comme Marigot ou Grand Case, ils sont rares et souvent intégrés dans des bâtis modernes, sans véritable reconnaissance patrimoniale.
À l’inverse, la Guadeloupe a engagé un travail plus structuré. Dans plusieurs communes comme Le Moule, Sainte-Rose ou Capesterre-Belle-Eau, des inventaires ont été réalisés et des actions de classement ou de rénovation sont en cours, avec l’appui des Architectes des Bâtiment de France et des collectivité locales. Des associations patrimoniales comme L’ASVP-G (association pour la sauvegarde et valorisation du patrimoine de la Guadeloupe) participent aussi à ce mouvement. Ces opérations visent à sauvegarder les éléments identitaires : structures en bois, toitures traditionnelles, et usage de matériaux locaux.
À Marie-Galante, île plus rurale et moins densément urbanisée, les cases sont encore habitées ou transmises de génération en génération, conservant ainsi un savoir-faire ancien sans dispositif officiel. Ces exemples illustrent des approches diverses, entre politiques actives, initiatives associatives, et mémoire vivante. Le contraste met en lumière la fragilité d’un patrimoine partagé, mais inégalement protégé selon les dynamiques territoriales.
Préserver les cases traditionnelles, c’est transmettre un pan entier du patrimoine local.
Ce sont des repères silencieux dans un décor en constante transformation.
(Sources : Association ASVP-G, Diagnostic du patrimoine bâti de Guadeloupe, Maison créole- Analyse de l’habitat traditionnel)