Saint-Barth -

Lundi 9 octobre, une cérémonie de commémoration de l’abolition de l’esclavage par la couronne de Suède, en 1847, se déroulera à partir de 17 heures sous le fromager du fort Gustaf III.

Une cérémonie sous le fromager pour commémorer l’abolition de l’esclavage

Le 23 avril 2012, l’État français reconnaissait par décret la date du 9 octobre comme étant le jour officiel de l’abolition de l’esclavage à Saint-Barthélemy. Jusqu’alors, le jour de commémoration de l’abolition était le même qu’en Guadeloupe, le 27 mai. Or, la réalité historique veut que le décret d’abolition de l’esclavage à Saint-Barth a été rédigé, non pas le 27 mai 1848 par la France, mais le 9 octobre 1847 par la couronne de Suède, alors en possession de l’île. Ce, à la faveur du rachat par la Suède du dernier esclave, Marie-Françoise, dite Mélanie.
Elle était la 523e esclave a? être ainsi affranchie depuis le début du processus d’émancipation entamé en mai 1846 par la couronne suédoise. Le 9 octobre 2012, une cérémonie avait été organisée à Saint-Barthélemy afin de marquer ce moment d’histoire. Depuis, plus rien, si ce n’est le respect du jour férié qu’est devenu le 9 octobre. Jusqu’à ce lundi. En effet, à l’initiative de la préfecture des Iles du Nord et en partenariat avec la Collectivité, une cérémonie commémorative de l’abolition de l’esclavage va se tenir à partir de 17 heures devant le fromager, au Fort Gustaf III de Gustavia, sous le phare.
Un événement d’importance à plus d’un titre. Pour sa rareté, en premier lieu. Mais également par son programme. Des lectures d’un texte de Victor Schoelcher (initiateur du décret abolitioniste du 27 avril 1848) et d’un autre de Toussaint Louverture (figure de la révolution haïtienne entre 1791 et 1802) par des collégiens, l’exécution d’un chant écrit par Frantz Casseus (guitariste et compositeur haïtien du 20e siècle), mais aussi et surtout le dévoilement d’une plaque commémorative qui sera installée au pied du fromager. Un lieu des plus symboliques.

Le fromager, symbole de l’ignominie de l’esclavage
En effet, le fromager servait à punir les esclaves qui refusaient de se soumettre à l’autorité inhumaine de leur maître. Ils étaient attachés par des liens en cuir que l'on mouillait, les rayons du soleil se chargeant de les rétrécir provoquant ainsi l'entrée des épines dans les chairs du supplicié. Un exemple parmi trop d’autres de l’ignominie de l’esclavage.

 

Deux siècles d’esclavage à Saint-Barth


Selon les différentes recherches historiques qui ont pu être menées à Saint-Barthélemy, notamment par Richard Lédée et le Suédois Fredrick Thomasson, l’île a été une terre d’esclavage dès les premiers temps de la colonisation française. Soit à partir de 1648. Les esclaves ont, par exemple, servi de main d’œuvre aux différentes tentatives de productions agricoles. Notamment la culture de l’indigo ou du coton. Selon des archives anglaises, l’île aurait même connu une révolte de ses esclaves fin 1736.
En 1784, Saint-Barthélemy est échangée par la France à? la Suède contre des droits d’entrepôts à Göteborg. Les esclaves y sont alors importés en plus grand nombre, notamment pour bâtir Gustavia. Près d'une centaine de voyages de navires négriers ayant un rapport plus ou moins étroit avec Saint-Barthélemy ont été répertoriés. En 1787, les Suédois rédigeront leur propre « Code noir », grandement inspiré du code en vigueur à la Martinique.

 

 

Mèsi Bondye?
« Mèsi Bondye » est un des classiques de la musique haïtienne, écrit par le guitariste haïtien Frantz Casséus (1915-1993).
« Mési Bondye » autrement connu comme Merci bon Dieu est la chanson qui a le plus et le mieux voyagé, rappelant au monde le destin unique de ce pays d’Africains et de Descendants d’Africains. Traduction : Alfred Largange

Mèsi Bondye, gadé tou sa lanati pote pou nou
Mesi Bondye, gade kouman lamizè fini pou nou
Mèsi Bondye, gade tou sa lanati pote pou nou
Mesi Bondye, gadé kouman lamizè fini pou nou
Lapli tonbe, mayi pouse
Tou timoun ki grangou prale manje
An nou dansé mambo, an nou dansé Petro
Papa Bondye ki nan syèl, lamizè fini pou nou
Mizè a fini pou nou
Mizè nou fini
Mèsi Bondye, gade tou sa lanati pote pou nou
Mesi Bondye, gade kouman lamizè fini pou nou
Mèsi Bondye, gade tou sa lanati pote pou nou
Mesi Bondye, gade kouman lamizè fini pou nou
Lapli tonbe, mayi pouse
Tou timoun ki grangou prale manje
An nou danse mambo, an nou danse Petro
Papa Bondye ki nan syèl, lamizè fini pou nou
Mizè a fini pou nou
Mizè nou fini
Mèsi Bondye, Mèsi Bondye


Merci Mon Dieu pour tout ce que la nature nous a apporté?
[litt : regardez ce que la nature nous a apporté?]

Merci Mon Dieu, notre misè?re est finie
[litt : regardez comment la misè?re est finie pour nous]
La pluie est tombé?e, le maïs a poussé
Les enfants affamés pourront manger [Grangou : du vieux ­français "J'ai grand gou?t"]
Dansons le Kongo, dansons le Pe?tro
[le Kongo est une danse d'origine africaine, le pe?tro est un style musical associé? à un rite vaudou]
Papa Bon dieu qui est dans le ciel, la misère est finie pour nous.
La misè?re est finie pour nous. Notre misè?re est finie

 

L’abolition de l’esclavage dans l’île suédoise de Saint-Barthélemy
(Textes qui seront lus lors de la cérémonie du lundi 9 octobre)

Extrait de la revue indépendante, Livraison du 10 janvier 1847

Victor Schœlcher est un militant abolitionniste. Choqué? lorsqu’il découvre une vente d’esclaves dans les Caraïbes, il engagera toute sa vie un combat pour l’abolition de l’esclavage.
Il écrit un texte évoquant l’abolition de l’esclavage à? Saint-Barthélemy par la Suède dans une revue française publiée en 1847 dans le but que la France suive ce modèle.
En voici des extraits :

« Pourquoi faut-il, hélas ! que nous en soyons encore à? discuter les bénéfices de l'émancipation, à? démontrer ses avantages, à? défendre la cause de la liberté?, contre les arguties de la servitude.
La postérité? dira-t-elle donc que la France, ce grand héraut de toutes les grandes idées, fut la dernière à? prononcer l'abolition de l'esclavage ? Quoi ! notre gouvernement hésite encore, et, de tous les points du globe, les nations civilisées, les rois absolus, les princes barbares eux-mêmes rejettent avec dégout ce legs honteux de la cruauté? antique ! L'Angleterre ne nous a pas seule donné? l’exemple : le bey de Tunis, Achmet-Pacha, a de même proscrit la servitude de ses États, et voilà maintenant la Suède qui vient aussi de s'honorer en imitant la Grande-Bretagne et le généreux musulman. »

« Il y a déjà? plusieurs années que la Suède pense a? abolir l'esclavage dans la petite isle de Saint-Barthélemy, la seule colonie qu'elle possède aux Antilles.
Le 30 mai 1841, la diète présenta au roi une adresse tendante a ce qu’on fit une enquête sur les moyens d'effectuer l'affranchissement. Le roi Oscar répondit le 14 octobre 1843 par une ordonnance qui faisait déjà? alors pour les nègres suédois plus que n'ont osé? les lois des 18 et 19 juillet 1845 pour les nègres français.
(...) En le créant citoyen, il ne lui impose pas l'ignoble respect de son ancien maître. Son affranchi est bien un homme libre, complet ; il ne garde aucune trace de l'abjection ou? l'avait condamné? un code infâme. « Tous les esclaves affranchis, dit-il, art. 4, entreront immédiatement en jouissance des droits possédés par les autres citoyens ; ils subiront les mêmes charges, et leur seront égaux en tout devant la loi. »

Quand l’Angleterre abolit l’esclavage en 1833, la Suède suivit leur exemple en l’abolissant progressivement entre 1846 et 1847 dans la crainte d’une rébellion.
Souvenons-nous que l’abolition est aussi le fruit des luttes des esclaves pour leur liberté?. Le personnage de Toussaint Louverture incarne ces combats pour l’émancipation en œuvrant pour l’indépendance d’Haïti qui se terminera en 1804. Il s’adresse aux esclaves de Saint-Domingue le 29 août 1793 en ces termes

« Frères et amis. Je suis Toussaint Louverture, mon nom s’est peut-être fait connaître jusqu’à vous. J’ai entrepris la vengeance de ma race. Je veux que la liberté? et l’égalité? règnent à? Saint-Domingue. Je travaille à? les faire exister. Unissez-vous, frères, et combattez avec moi pour la même cause. Déracinez avec moi l’arbre de l’esclavage. Votre très humble et très obéissant serviteur, Toussaint Louverture, générale des armées du roi, pour le bien public ».

 

 

Journal de Saint-Barth N°1535 du 05/10/2023

Octobre rose
Abolition de l'esclavage