Saint-Barth -

La carte de Saint-Barth qui valait 35.000 dollars

Une carte qui aurait été dessinée en 1785, annoncée comme la plus ancienne représentant Saint-Barthélemy, est en vente sur internet à 35.000 dollars. Un prix élevé qui a interpellé Richard Lédée, animateur du site www.memoirestbarth.com, qui pointe des incohérences de la part du marchand de cartes antiques.

Affichée comme la plus ancienne jamais dessinée représentant l’île dans son ensemble, une carte de Saint-Barthélemy et ses îlets datée de 1785, est aujourd’hui en vente sur internet au prix de 35.000 dollars.

Un montant qui a intrigué Richard Antoine Lédée, du Clash (Comité de liaison et d’application des sources historiques), qui s’est penché sur l’histoire de cette carte.

Elle apparaît une première fois en 2007, proposée dans une vente aux enchères à Uppsala, en Suède. Sa valeur est alors estimée entre 4.300 et 5.400 euros. Le vendeur ne donne aucun détail sur l’auteur, ni sur son ancienneté. Elle trouvera preneur pour 15.700 euros.

La carte resurgit il y a six mois, en décembre 2018, dans une autre prestigieuse maison de vente aux enchères, Christie’s London. Elle fait partie d’une collection privée d’une centaine d’objets de valeur mise en vente sous le titre “An adventurous spirit” (un esprit aventurier, ndlr). Hormis quelques informations sur l’histoire de Saint-Barthélemy, aucun détail sur l’objet n’est donné par Christie’s. Dans une moindre mesure, la vente dépasse une nouvelle fois les attentes : estimée entre 2.230 et 4.500 euros, elle part pour 5.300 euros. Sans explication sur cette dépréciation.

L’acheteur a sans doute eu le sentiment de faire un bon investissement, puisqu’aussitôt, la carte se retrouve en vente sur un site américain spécialisé, www.raremaps.com. Créée par Barry Ruderman, cette société se targue de posséder un catalogue d’environ 10.000 cartes authentiques du XVe au 20e siècle. Dont la fameuse carte intitulée d’après la mention qui y figure : “Charta öfver Öen St Barthélémÿ” (carte de l’île de Saint-Barthélemy, ndlr). Mise en vente pour 35.000 dollars. Malgré la valeur historique incontestable d’un document si ancien, ce montant élevé retient l’attention. « Le prix est effectivement assez haut par rapport à de nombreuses autres îles des Caraïbes », confirme Barry Ruderman. «Il existe certaines îles pour lesquelles le prix des cartes antiques a tendance à être élevé. » Le marchand d’art indique que c’est la rareté de ce type de document pour Saint-Barth, sa bonne préservation, et la demande plus forte qu’ailleurs qui aboutissent à ce prix.


Qui a dessiné cette carte en 1785 ?
En tant qu’expert en cartes anciennes, www.raremaps.com a cette fois accolé un long descriptif à l’objet. L’auteur est inconnu selon Barry Ruderman, malgré, en bas à gauche, ce qui ressemble à une signature qu’il retranscrit : “Joh: Nu: Damp”. Mais n’ayant rien trouvé au sujet de cet étrange patronyme, il développe une autre théorie. Le dessin lui rappelle fortement deux autres cartes de sa connaissance, conservées à la Bibliothèque nationale de France et signées d’un certain George Auguste Wilmans. Il fait aussitôt le lien avec un autre Wilmans, Henrich, un Allemand qui a fréquenté Saint-Barthélemy à la fin du XVIIIe siècle et correspondu avec la couronne suédoise.

A cette affirmation, le sang de Richard Lédée n’a fait qu’un quart de tour. Ses recherches le mènent rapidement jusqu’au nom familier de Johan Niclas Damp. Ce Suédois est arrivé à Saint-Barthélemy le 30 janvier 1785, quelques semaines avant que l’île ne quitte réellement le giron français pour la couronne suédoise. En effet, si le traité entre France et Suède a été signé le 1er juillet 1784, les Scandinaves n’ont officiellement pris possession de l’île que le 7 mars 1785. Johan Niclas Damp était le capitaine d’un vaisseau marchand nommé Enigheten (Unité, ndlr). Ayant mouillé un peu tôt aux abords de Saint-Barth, il a dû attendre l’arrivée, le 6 mars 1785, de la frégate Sprengtporten qui transportait les officiels suédois, pour décharger sa marchandise. Selon Per Tingbrand dans son “Who was who in St Bartholomew during the swedish epoch” (“Qui était qui à Saint-Barthélemy durant l’époque suédoise”, ndlr), le capitaine Damp dessina alors la première carte du Carénage, future Gustavia.

Quant à savoir si la fameuse carte de l’île entière qu’il a signée est la première jamais dessinée, le doute subsiste. On imagine la difficulté, à l’époque, de réaliser de telles cartographies à pied et depuis la mer, et de relever toute la toponymie en français, sans parler des mesures bathymétriques et de la position des hauts-fonds et des cayes. Or comme d’autres cartes de l’époque, celle de Johan Niclas Damp comporte notamment un défaut flagrant de proportion de la partie Sous le Vent de Saint-Barthélemy.

Dans la rubrique iconographie de son site (*), Richard Lédée avait jusqu’ici répertorié six cartes similaires de Saint-Barthélemy, toutes datées de 1785-1786 et signées par divers auteurs. Avec les deux cartes de Wilmans archivées à la Bibliothèque Nationale de France, mentionnées par Barry Ruderman, Richard Lédée s’interroge sur la ressemblance frappante de ces cartes entre elles, neuf au total. « Copiez-vous les uns les autres semble de mise », lâche-t-il. « Un capitaine de bateau a besoin d’une carte pour naviguer, c'est plus pratique, surtout la nuit, et surtout à l’approche d’une toute petite île avec plein de tout petits cailloux autour. Donc tous ces marins, Fredric Sjöbohm, Erland Hederstjerna, Johan Björnstjerna, George Auguste Wilmans, Johan Niclas Damp, auteurs de ces cartes quand Samuel Fahlberg ne devait pas être loin non plus, ont dû s’associer d’une façon ou d’une autre pour pondre cette forme erronée ; puis ils ont très certainement embarqué et multiplié ces cartes sur différents navires, pour qu’elles reviennent finalement jusqu’à nous, pour 35.000 dollars. »

Autrement dit, Richard Lédée est convaincu que toutes ont pour origine une seule carte dessinée sur le terrain par l’un de ces auteurs, et ne cache pas son scepticisme quant à l’historique décrit par Barry Ruderman. « De là à se targuer d’avoir la plus ancienne carte existante représentant Saint-Barthélemy : oui peut-être, jusqu’à ce qu’on retrouve plus vieux ou autre information, dans le passé on retrouve toujours… » Et de conclure : « 35.000 dollars, ça fait quand même cher, moi je m’en fous j’ai le fichier numérique, de suffisamment bonne définition, téléchargé sur www.raremaps.com. Faites tous de même. »


Une autre à 27.500 $
Que les vendeurs spécialisés brodent ou non sur l’histoire de leurs objets, le commerce de ces dessins historiques semble fonctionner : sur un autre site spécialisé, www.rarecharts.com, la reproduction d’époque d’une carte dessinée par Samuel Fahlberg en 1792, représentant Saint-Barth, Saint-Martin et Anguilla, est en vente à 27.500 dollars. Deux autres du même auteur ont été vendues aux enchères d’Uppsala le mois dernier, pour 2.800 euros et 4.200 euros.

(*)www.memoirestbarth.com



JSB 1333

Journal de Saint-Barth N°1333 du 04/07/2019

La carte de Saint-Barth qui valait 35.000 $
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