Penchées au-dessus de livres ouverts sur une table du Domaine Félicité, Siv et Jennie écoutent avec attention Nils Dufau et Arlette Magras leur conter quelques récits historiques sur leur ancêtre. La maman, Siv Fahlberg Nilsson, et la fille, Jennie Fahlberg Fröding, semblent s’imprégner de chaque mot prononcé, de chaque page ouverte. Toutes les deux descendent directement de la lignée de Samuel Fahlberg qui, en 1784, fut envoyé à Saint-Barthélemy par le roi de Suède pour y occuper le poste de médecin. Il s’est ensuite avéré que l’ancien disciple du chirurgien de Stockholm possédait bien d’autres talents que ceux de soignant. Pour exemple, c’est lui qui dressa le plan d’urbanisme de Gustavia en 1785. Une histoire que Siv et Jennie découvrent au fil des échanges avec le président de l’Asbas (Association Saint-Barth des amis de la Suède), Nils Dufau, et les fondateurs du Domaine Félicité, Arlette et Alain Magras.
« En apprendre plus sur nos racines »
« Cette visite, explique Jennie, c’est une combinaison de découverte et de reconnexion avec notre passé. Nous voulions en apprendre plus sur nos racines. Mon père aurait aimé venir mais il ne peut plus voyager depuis quinze ans. » Pour Siv, le hasard du calendrier a voulu qu’elle célèbre ses 70 ans sur la terre de son ancêtre. « Au début, on ne comprenait pas l’importance que pouvait avoir notre nom ici, confie Jennie. On voulait en savoir plus. Du côté de mon père, surtout, parce qu’il y a une tradition de conservation des livres dans les maisons. » Si Jennie ignorait tout, ou presque, de l’existence de Samuel Fahlberg et de sa présence à Saint-Barthélemy, Siv assure qu’elle connaissait une partie de l’histoire. Mais c’est sa fille qui a creusé un peu plus profond. « Tout le monde avait des connaissances de ce passé, mais de manière superficielle », confirme Jennie.
« A l’école, j’ai travaillé sur un projet sur l’histoire de la famille, raconte Jennie. Mon père est originaire du Nord de la Suède, ma mère du Sud. J’ai commencé à faire des recherches dans des livres, et tout est parti de là. » Non sans surprise pour la maman, qui se souvient. « J’ai reçu un appel de la librairie pour me dire que ma fille voulait emprunter beaucoup de livres », sourit-elle. Jennie se prend de passion pour ces recherches et découvre différentes branches de la famille, notamment une qui évoluait à la cour du roi. « J’avais évidemment un intérêt particulier pour le 17e et le 18e siècle », glisse-t-elle.
Ainsi, elle lève progressivement le voile sur l’histoire et le parcours de Samuel Fahlberg. Un médecin voyageur qui connut les faveurs du roi de Suède avant de tomber en disgrâce et de finir ses jours à Saint-Eustache. « Il avait épousé une femme de Saint-Eustache », souffle Arlette Magras qui a pris soin de sortir et d’exposer les plans d’urbanisme conçus par Samuel Fahlberg, savamment encadrés.
« Beaucoup d’humilité »
Ce n’est pas sans une certaine fascination que Siv et Jennie ont pénétré dans le Domaine Félicité. Sans doute ne s’attendaient-elles pas à y trouver une telle quantité de documents qui témoignent du passage et de l’activité de leur ancêtre sur l’île. « On découvre tout cela avec beaucoup d’humilité, concède Jennie. En plus, les gens sont très accueillants, très curieux. On se sent comme chez nous finalement ! Etre ici, c’est presque irréel, comme un conte de fée que l’on découvre en vrai. Quand on est arrivé, on est venu par bateau de Saint-Martin et ça nous a vraiment donné cette impression d’être des Suédois revenant à Saint-Barth. » Et Siv de s’interroger, sourire aux lèvres : « Cette île est tellement belle aujourd’hui, je me demande bien pourquoi la Suède ne l’a pas gardée ! » Une question que son petit-fils, le garçon de Jennie, a certainement dû poser. « Pendant que nous sommes là, il est à la plage », s’amuse Jennie qui s’empresse de montrer une photo prise devant la plaque apposée à l’entrée de l’espace Gustaf III. Le garçon, âgé de onze ans, pose fièrement de profil. « Il s’appelle… Gustaf », sourit sa mère. Etrange coïncidence, s’il en est.
Mort empoisonné ?
Pour Siv, un mystère reste entier concernant son ancêtre. « Je me demande comment Samuel est mort », lance-t-elle. Arlette Magras lui répond : « Il est mort à Saint-Eustache et il ne savait pas qu’il avait été gracié. » Et Siv de supposer : « Il était de bonne constitution, alors peut-être qu’il a été empoisonné. » Sur ce point, l’histoire demeure floue. Une seule chose est sûre, c’est que Samuel Fahlberg n’a pas été ménagé par le gouverneur, Hans Henrik Anckarheim. En 1810, après des échauffourées au sein de la population, il a tenté une médiation avec le gouverneur anglais des Iles sous le vent. Une démarche qui lui a valu d’être accusé de trahison et d’être condamné, en 1813, à l’exil de la Suède. Il bénéficia d’une amnistie vingt ans plus tard, mais mourut avant d’en avoir eu connaissance.
La semaine dernière, ses descendants ont sillonné l’île et ont pu rencontrer le président de la Collectivité. L’occasion aussi pour Nils Dufau d’évoquer les projets de l’Asbas qui espère envoyer une délégation à Piteå l’année prochaine. « Ça fait cinq ans que l’on n’a pas pu y aller », constate-t-il avec regret. Mais avant de programmer cette visite, Nils Dufau doit mettre en relation les élus. « Parce que si Saint-Barth a une nouvelle majorité, Piteå a également changé d’équipe municipale lors des dernières élections, s’amuse-t-il. L’Asbas va donc s’assurer que le contact soit bien établi. » Avec d’autant plus de facilité que Nils Dufau a pu constater lors de ses discussions avec Sev et Jennie que son suédois était encore excellent.