Quelques semaines avant d’être envahie par les équipes techniques de la Transat Paprec, la grande salle de la capitainerie de Gustavia s’est muée en prétoire, le jeudi 10 avril. Ce, pour y accueillir une audience du tribunal judiciaire. Si 25 dossiers sont inscrits au programme, nombreux sont ceux qui font l’objet d’un renvoi à une audience ultérieure. Pour des raisons techniques ou de procédure. Dans la salle, des élèves du collège Mireille Choisy sont présents afin d’assister aux débats, en compagnie de leurs professeurs, cela va sans dire. Par conséquent, la présidente du tribunal commence par expliquer à son jeune auditoire les règles et le déroulé d’une audience. Avec une pédagogie plus douce que celle qu’il lui faudra mettre en œuvre lors de l’examen de certains dossiers. Comme celui d’un homme qui approche les 70 ans.
« Cette situation doit s’arrêter »
Appelé à se présenter à la barre, le prévenu doit répondre de violences commises à l’encontre de son épouse et de sa fille. Un patriarche qui ne perçoit mensuellement qu’une très faible retraite et qui vit grâce aux labeurs de son épouse, toujours active. Mais la situation familiale, les « valeurs » quelques peu archaïques du prévenu et les travaux d’une maison qui s’éternisent ont progressivement fait basculer le quotidien du couple dans la violence. « C’est votre femme qui s’occupe de vous et vous lui tapez dessus », gronde la présidente qui va suivre les réquisitions du procureur de la République et infliger une peine de six mois de prison avec sursis au presque septuagénaire. « Cette situation doit s’arrêter, lance la magistrate. Vous avez porté des coups à votre femme mais aussi à votre fille. Vous êtes frustré mais pour vous soulager, la solution n’est pas de vous défouler en étant violent dans votre intimité familiale. Vous êtes mari et père, cela ne vous autorise pas à frapper et insulter. Sans votre femme, aujourd’hui, vous n’auriez rien. Madame ne rentre pas le soir après une journée de travail pour se faire insulter et frapper. » Tête basse, l’homme va se rasseoir dans la salle pendant de longues minutes avant de la quitter. Son épouse et sa fille étant déjà parties.
« J’ai peur »
La présidente appelle ensuite un homme âgé de 27 ans à la barre. Il est poursuivi pour des faits de violation de domicile, de menaces et de dégradations du bien d’autrui. Mais le prévenu ne répond pas à l’appel. Il est absent à l’audience. A son casier judiciaire, pas moins de quatorze condamnations : violence, stupéfiants, délits routiers, vol, il a déjà effectué plusieurs séjours en prison. Sa victime, une jeune femme, est présente. Elle explique qu’elle a fait la connaissance du prévenu lors d’une sortie en discothèque mais qu’elle a rapidement mis fin à leur relation. Une rupture qui n’a visiblement pas été appréciée par le repris de justice. En décembre dernier, après s’être présenté à plusieurs reprises sous les fenêtres du domicile de son « ex » furtive, l’homme s’introduit par effraction dans la chambre de la jeune femme. « Il m’a dit que j’avais la chance d’être une femme sinon il m’aurait cassé la bouche », raconte-t-elle, tout en décrivant un homme régulièrement imbibé d’alcool. Même si le prévenu n’est manifestement plus à Saint-Barth, la victime confie : « Il sait où j’habite, où je travaille, j’ai peur. » Le tribunal condamne l’homme à une peine de huit mois de prison ferme.
Caméras et détective privé
Un couple s’avance jusqu’au pupitre qui fait office de barre. Mariés depuis vingt ans, la femme et l’homme, qui est le prévenu, traversent depuis deux ans une procédure de divorce pour le moins conflictuelle. En 2022, l’homme, aujourd’hui âgé de 60 ans, a été condamné pour des violences commises sur sa conjointe. Celle-ci continue de vivre dans un logement lui a été « généreusement » fourni par son « ex » au titre du droit de secours, sur la propriété de ce dernier et à proximité de sa maison. Mais la victime se plaint que son futur ex-mari a installé des caméras pour surveiller ses faits et gestes. De plus, il a fait appel à un détective privé pour recueillir de plus amples informations.
Devant le tribunal, l’homme explique que les caméras en question ne fonctionnent pas. « Mais ces caméras gênent madame parce qu’elle ne peut pas faire ce qu’elle veut », assure-t-il. Tandis que les avocats des deux parties défendent les intérêts de leur client, le procureur estime que les déclarations de la victime sont crédibles et réclame une peine de 500 euros d’amende. Si la présidente considère la situation de proximité entre les deux «ex» comme « pas très saine », elle prononce toutefois une relaxe du prévenu. Avant de lui faire la morale. « Arrêtez de la surveiller et de faire des commentaires sur sa vie, lance la magistrate. C’est vous qui lui avez proposé ce logement, or vous avez les moyens d’en payer un ailleurs. Il faut vous arrêter. »
Quelques menus dossiers sont ensuite évacués en l’absence de prévenu, de victime et, par conséquent, d’avocat.