Saint-Barth -

Me Bringand-Valora : « Cette réforme, c’est la mort de la justice de proximité »

Tous les avocats de Saint-Barthélemy s’étaient mobilisés contre la réforme de la justice, adoptée la semaine dernière par l’Assemblée nationale. Me Bringand Valora, représentante du bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Guadeloupe à Saint-Barthélemy, détaille les principaux changements que connaîtront les citoyens et les risques qu’elle y voit. Le plus parlant concerne les procédures de divorce.

Les professionnels de la justice sont massivement opposés à cette réforme. Pourquoi ?
Cette réforme est tout simplement une déshumanisation de la justice en violation des droits fondamentaux des justiciables. C’est la mort de la justice de proximité avec tous les avantages qu’elle pouvait représenter, tels que les échanges avec les magistrats et les auxiliaires de justice, l’accès aux tribunaux, les plaidoiries, la présentation du côté humain d’un dossier… La disparition du dialogue ! Et dans quel but ? Sûrement pas l’intérêt du justiciable. Ce n’est que pour pallier les manques de moyens humains et matériels du système judiciaire dans son ensemble.
C’est aussi « la mort » des tribunaux d’instance qui se voulaient proches du justiciable en étant implantés dans de nombreuses villes, la fin de l’accès à la justice pour tous.


La procédure de divorce sera simplifiée, et amputée de la procédure de conciliation, jugée trop longue et peu efficace. Pourquoi êtes-vous opposée à cette disposition ?
Dans le cadre d’un divorce conflictuel ou simplement en l’absence d’accord immédiat des conjoints, la phase de conciliation a le mérite de fixer les mesures provisoires avant le prononcé du divorce. Ces mesures souvent urgentes sont nécessaires notamment en présence d’enfants ou lorsque l’un des conjoints n’a pas les moyens financiers de vivre convenablement.
A titre d’exemple, le magistrat conciliateur fixe la résidence des enfants, la contribution à leur entretien et leur éducation, le droit de visite et d’hébergement du parent qui n’en a pas la résidence, une pension alimentaire au titre du devoir de secours au conjoint dans le besoin. Il attribue la jouissance du domicile conjugal, décide provisoirement du sort des biens communs…

Toutes ces mesures provisoires sont non seulement utiles pour répondre dans l’urgence au traumatisme d’une séparation, et elles apaisent souvent les conflits.
Leur disparation laissera le couple et souvent la famille sans cadre judiciaire, jusqu’au prononcé du divorce, situation qui pourra s’avérer dramatique dans certains cas.


Toutes les procédures seront totalement numérisées, de la plainte au jugement, et certains litiges pourront même être traités à distance, sans audience, avec l’accord des parties. Quel est le risque d’une telle mesure ?
Tel qu’indiqué précédemment, c’est nécessairement la perte de la part humaine de la justice et de son exercice dans son ensemble.
L’avocat est le garant privilégié des droits et des libertés individuelles. Le bâillonner par « la numérisation du système judiciaire » conduira à la perte de droits et de libertés.
Sachant que les mesures de cette réforme n’ont que pour objectif de limiter les coûts de la justice, alors même qu’elle ne dispose déjà que d’un très faible budget, et sans se soucier des conséquences humaines, cela ne promet rien de bon.
Comment imaginer que la justice puisse vivre sans véritables échanges humains et en ayant pour simple interlocuteur un ordinateur ?


Que pensez-vous de la création d’un « tribunal criminel départemental » qui jugerait principalement des affaires de crimes sexuels ? Souhaitez-vous que Saint-Barthélemy, ou en tout cas la région Guadeloupe, fasse partie des premières régions qui expérimenteront cette nouveauté ?
Fort heureusement, Saint-Barthélemy n’est pas impactée par une forte criminalité sexuelle. Quant à la question d’implanter de manière expérimentale un tel tribunal en Guadeloupe, je n’ai pas assez de recul sur le volume d’affaires traitées pour vous répondre.
Par contre, la création d’un tel tribunal conduit finalement à « correctionnaliser » des faits pourtant gravissimes, au détriment des victimes. Je m’explique : les crimes sexuels initialement jugés par la Cour d’Assises, laquelle est composée de magistrats mais également d’un jury populaire, doivent être transférés et jugés par ce nouveau tribunal ; je crains fort que ces crimes finissent par être quelque peu « banalisés » ou, à tout le moins, « atténués », ne serait-ce que par la disparition du côté solennel des audiences de la Cour d’Assises. Or, les victimes de tels actes ont besoin notamment de ce côté solennel pour guérir leurs blessures.


Généralisation du bracelet électronique ou de la semi-liberté, aménagements de peine impossibles au delà d’un an de prison ferme, multiplication des travaux d’intérêts généraux… Quelle est votre opinion sur la révision du système d’application des peines ?
Si le but recherché est réellement de personnaliser les peines au cas par cas, en fonction de la personnalité du prévenu, je pense que cette révision du système de l’application des peines est favorable. Mais attention, il ne faut pas que ce soit un moyen détourné de priver le juge de son pouvoir souverain d’appréciation et de créer, en quelque sorte, un « catalogue de peines » !

Rappelons en effet que la peine ne doit pas être qu’une sanction à des actes répréhensibles. Elle doit également remplir son rôle de dissuasion à la récidive. Les peines alternatives à l’emprisonnement telles que le bracelet électronique, le travail d’intérêt général ou la semi-liberté n’ont de sens que si le but recherché est la réinsertion.
De la même manière, multiplier les peines alternatives pour pallier aux problèmes des maisons d’arrêt (manque de personnel, surpeuplement), n’est pas une bonne solution.


La durée de la garde à vue pourra être allongée plus facilement par les enquêteurs. Bonne ou mauvaise mesure ?
En matière de garde à vue, je pense que le procureur est en quelque sorte le garant du respect des droits et libertés de chacun. Contrairement aux simples enquêteurs, il est juriste, il connaît les lois et il se doit de les faire appliquer.
Donner de telles prérogatives à des enquêteurs, sans aucun contrôle du parquet, serait sans nul doute la porte ouverte à des débordements qui eux-mêmes aboutiraient à une mauvaise justice. Nous n’avons pas assez de recul pour le moment mais je ne vois pas comment et à quel titre le parquet perdrait ses pouvoirs.


La présence d’un avocat sera obligatoire pour certains contentieux, comme l’expropriation, les affaires douanières… Les avocats de Saint-Barth auront-ils davantage de travail ?
Certainement mais l’essentiel n’est pas là. La présence d’un avocat est la seule garantie du respect des droits fondamentaux et des libertés individuelles. Il est le seul « organe premier » du contrôle de ces droits et libertés, et de la régularité des procédures initiées contre le justiciable. Comme en matière de garde à vue, la présence de l’avocat est alors primordiale.


Que va changer pour les îles du Nord la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance ?
Il est bien entendu impensable que le Tribunal de Saint-Martin disparaisse. Il sera sans doute renommé et les moyens tant humains que matériels seront mutualisés avec ceux de la Chambre détachée de Saint-Martin-Saint Barthélemy.
Je tiens à ce titre à rappeler tous les efforts de notre profession pour obtenir la création de cette chambre détachée du Tribunal de grande instance de Basse-Terre, fin 2017. Je souhaite également saluer le mérite des magistrats et des greffes, qui ont su avant cette création, par un travail sans relâche et un investissement sans limite, malgré la pénurie de moyens, mener à bien leurs fonctions.
Je salue enfin le mérite des nouveaux magistrats et greffiers affectés à cette chambre qui fonctionne désormais parfaitement.

Cette chambre a notamment amené aux Îles du Nord une proximité non négligeable, avec des tenues d’audiences à Saint-Martin et Saint-Barthélemy au lieu de Basse-Terre, la possibilité pour le justiciable de se rendre à ces audiences accompagné de son avocat, en minimisant le coût des transports, l’instauration d’un dialogue plus facile entre les magistrats et les avocats, des jugements rendus plus rapidement…
C’est à mon sens un grand succès !


En 2019, vous avez intégré le Conseil de l’Ordre des avocats du Barreau de Guadeloupe, Saint-Martin & Saint-Barthélemy. A quoi sert cette instance, et quel rôle y exercerez-vous ?
Élue effectivement membre du Conseil de l’Ordre de notre Barreau, j’ai endossé ces fonctions pour un mandat de trois ans, en étant également désignée par Mr le Bâtonnier Charles Nicolas sa représentante sur Saint-Barthélemy. Au sein de notre Barreau, le Conseil de l’Ordre est composé de 19 membres élus. Il a pour fonctions de traiter toutes les questions intéressant l’exercice de la profession, de veiller au respect, par les avocats, de leurs devoirs et obligations mais aussi leurs droits.



JSB 1317

















Journal de Saint-Barth N°1317 du 28/02/2019

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