Saint-Barth - Panneaux signalisation De Haenen

« La famille de mon client vit comme un affront de voir tous les jours les 35 panneaux de signalisation marqués au nom de Remy de Haenen disséminés sur toute l’île », explique l’avocate du prévenu, Me Desailloud.

La polémique De Haenen surgit au tribunal : « Ce n’est pas un vol, c’est un acte politique ! »

Une simple affaire de vol de panneaux de signalisation s’est transformée, jeudi au tribunal, en pamphlet historico-politique autour du personnage controversé de Remy De Haenen.

Le prévenu n’est autre que Richard Lédée, connu pour ses recherches sur l’histoire de Saint-Barth et particulièrement sur le rôle de l’île dans la traite négrière et l’esclavage, alors que l’île était suédoise. En 2019, il avait subtilisé deux panneaux de signalisation appartenant à la Collectivité : l’un mentionnant “parking réservé au service des archives territoriales”, l’autre indiquant la direction de l’aéroport Remy De Haenen. Il s’était ensuite pris en photo avec son larcin, avait envoyé l’image aux élus du conseil territorial, puis avait rendu les panneaux flambant neufs à leur propriétaire.

Un “emprunt” militant
Il était jugé jeudi 3 décembre pour vol. « Je souhaitais dénoncer l’utilisation du nom de Remy de Haenen donné à l’aéroport », explique l’intéressé au tribunal. Son avocate Me Desailloud tient à expliquer le fond de l’affaire, au cours d’une plaidoirie détaillant les liens entre la famille de son client et l’ancien maire, ainsi que la controverse qui entoure ce personnage.

« Ce n’est pas un vol, c’est un acte politique », commence-t-elle. « En aucun cas, mon client a entendu voler ces panneaux, qu’il a démontés avec précaution et avec l’intention de les restituer à la Collectivité. » Elle aborde en premier la question de la pancarte sur le stationnement des archives. « Mon client a souhaité que la Collectivité prenne conscience de l’état d’abandon des archives de notre île. Il est connu pour son travail très important sur l’histoire de Saint-Barthélemy et son combat pour la conservation et la mise en valeur de nos archives, qui sont notre histoire », déclare l’avocate qui elle-même a grandi sur l’île. « Elles sont disséminées en métropole, en Suède, en Guadeloupe ou à Saint-Barthélemy, où elles sont conservées dans des conditions inappropriées. Si rien n’est fait rapidement, nous perdrons une grande partie de notre histoire. Voilà le sens de cet emprunt. »
Elle renvoie le tribunal et la salle à la lecture d’un article rédigé par Richard Lédée à ce sujet.*

Me Desailloud en vient au second panneau, subtilisé alors qu’il venait juste d’être installé. « Mon client a voulu rappeler le personnage sulfureux qu’était Remy de Haenen, dont la famille de mon client et d’autres, sur l’île, ont eu à subir les avanies, les insultes et la violence. » Elle note, citant une déclaration de Bruno Magras en 2015 lors de la dénomination de l’aéroport, que le pilote décédé en 2008 avait des côtés négatifs et des côtés positifs. « Mais malheureusement le côté obscur l’a emporté. Remy de Haenen est celui qui a fait fortune en faisant de la contrebande, qui a utilisé ses mandats d’élu pour satisfaire ses intérêts personnels.  Il a été le représentant du Front national à Saint-Barthélemy aux élections de 1986, proche de Jean-Louis Tixier Vignancour, célèbre avocat de l’OAS, et du préfet Jacques Le Cornec qui avait pour mission de tout faire pour que les Antilles ne passent pas aux mains de la gauche et des indépendantistes. C’est aussi celui que les Américains ont soupçonné d’aider les sous-marins allemands dans la région pendant la Seconde Guerre Mondiale. »  (JSB 1133, 1134, 1238)

Différend historique
Devant des magistrats perplexes mais attentifs, l’avocate enchaîne sur ce que l’on a coutume d’appeler “les événements de juin 75”. « Remy de Haenen est surtout celui qui a mis le feu aux poudres le 6 juin 1975, date de l’insurrection de ses opposants qu’il a voulu museler en faisant appel au préfet Le Cornec. Celui-ci fera interpeller cinq opposants à Remy de Haenen, placés en détention en Guadeloupe : Charles Querrard, Henri Gréaux, Nicolas Gumbs, Justin Gréaux et Robert Gréaux. Lors du procès qui s’est tenu en 1976 le futur maire Charles Querrard sera lui aussi accusé d’avoir entravé la piste de l’aéroport avec sa voiture. Il sera démontré à l’audience que l’accusation reposait sur un faux procès-verbal de gendarmerie. » Elle développe ensuite l’inimitié née dans les années 60 entre la famille Lédée et Remy De Haenen. « On oublie trop souvent de citer dans l’histoire les deux premiers pilotes de Saint-Barthélemy, Georges Gréaux et Hippolyte Lédée (l’oncle de Richard Lédée, ndlr), qui fonderont en 1961 la compagnie aérienne WindWard Island. Tous les deux feront l’objet de menaces et de coups par Remy de Haenen. Hippolyte Lédée sera roué de coups, en 1960, par Rémy de Haenen lors de la visite du préfet, devant des témoins de poids : les gendarmes présents, le curé, Sully Magras, le maire Alexandre Magras. » Elle agite une copie du courrier écrit en 1960 par Hippolyte Lédée au procureur de la République de Basse-Terre, dans lequel il rapporte sa version de l’incident. Il ajoute que le maire Remy De Haenen l’a menacé de s’en prendre à lui dès qu’il s’aviserait de décoller avec des passagers. Elle montre aussi une lettre rédigée par Georges Gréaux à l’attention d’Hippolyte Lédée dit Faustin, dans laquelle le premier détaille les menaces dont il a fait l’objet de la part du maire. Georges Gréaux se plaint d’être expulsé de l’île par le conseiller général De Haenen.
« La famille de mon client vit comme un affront de voir tous les jours les 35 panneaux de signalisation marqués au nom de Remy de Haenen disséminés sur toute l’île », conclut Me Desailloud. Elle regrette la « maladresse » de son client, mais souligne « qu’il était important pour lui de rappeler à la Collectivité ce volet de l’histoire » et demande la relaxe.

Une catilinaire qui n’a pas eu l’air de faire vibrer les magistrats outre mesure. «Voler un panneau, c’est un vol, et c’est 3 ans d’emprisonnement », tranche le procureur, qui requiert une peine de trente jours-amende à 30 euros (soit 900 euros au total). La présidente, sceptique elle aussi sur le côté romanesque du méfait, sera un peu plus clémente : elle condamne le prévenu à trente jours-amende à 20 euros, soit 600 euros au total.  

*Sur le site internet www.memoirestbarth.com, lire “La longue agonie des archives suédoises de Saint-Barthélemy”.

 

Journal de Saint-Barth N°1401 du 09/12/2020

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