Saint-Barth -

Le permis de construire modificatif accordé par la Collectivité pour la construction du projet hôtelier Émeraude à Saint-Jean a été annulé par la cour administrative d’appel de Bordeaux, le 29 avril.

Justice - La Cour administrative d’appel annule le permis de construire de l’Émeraude St Barth

Un hôtel finira-t-il par être érigé sur le terrain vague situé en bordure de la baie de Saint-Jean ? Telle est la question qui peut être posée après la décision rendue le 29 avril par la Cour administrative d’appel de Bordeaux. En effet, après avoir entendu en audience, le 1er avril, l’ensemble des parties concernées par le dossier, le président de la Cour a décidé d’annuler la délibération de la Collectivité territoriale du 14 août 2024 qui accorde un permis de construire modificatif à la société SAS Beach Real Estate Invest. Un permis destiné à bâtir sur la baie de Saint-Jean un hôtel de 38 chambres (pour autant de clefs) sur une surface globale de 12.254 mètres carrés. Un établissement initialement baptisé l’Etoile et qui, depuis la révision du projet, a pris le nom d’Émeraude StBarth.

Une argumentation ciblée
La Cour administrative a été saisie par plusieurs sociétés désireuses de contester le permis de construire modificatif : Solid Rock Property, Afternoontea, Eden Rock et Lil’Rock Beach. Cette dernière n’est autre que la société exploitante du restaurant le Nao Beach, à Saint-Jean. Elle a développé plusieurs arguments dans sa requête destinée à faire annuler le permis de construire modificatif du 14 août 2024 : la taille de la future construction qui serait susceptible d’affecter les conditions d’exploitation du Nao, le risque d’érosion de la plage lié à l’ampleur du projet ou encore le risque de pollution des eaux souterraines et marines. Autant d’arguments que la Cour administrative d’appel va rejeter, les considérant irrecevables. En réalité, c’est une partie des éléments énoncés dans la requête de Solid Rock Property, Afternoontea et de l’Eden Rock qui a pesé dans la décision de la Cour.
Dans ses mémoires, l’avocat des sociétés requérantes a ciblé son argumentation sur l’invalidité présumée du permis de construire initial, délivré en 2019, et de tous les permis modificatifs qui en ont découlé. Il soutient que ce permis initial « a été délivré au terme de manœuvres frauduleuses » et insiste en assurant que le deuxième permis modificatif a été octroyé à la société SAS Beach Real Estate Invest « par fraude (…) à l’issue d’une procédure irrégulière ». Plus encore que les pièces consacrées à l’étude d’impact du projet, qualifiée « d’insuffisantes », et des « méconnaissances » supposées du code de l’urbanisme ainsi que les conséquences du fonctionnement d’une telle structure sur la consommation en énergie, c’est ce point juridique qui va peser dans la balance.

Un permis « obtenu par fraude »
Ainsi, après avoir confirmé le bien-fondé des décisions rendues précédemment par le tribunal administratif tout en précisant que ce même tribunal a rejeté « à tort » les conclusions de la Collectivité et de la SAS Beach Real Estate Invest qui soutenaient qu’une régularisation du permis initial était recevables, la Cour reçoit l’argument selon lequel le permis de construire initial du 19 décembre 2019 « a été obtenu par fraude ». La Cour constate qu’il ressort des pièces du dossier que le contrat du bail à construction conclu entre la société Beach Real Estate Invest et la SCI Émeraude Investissement le 30 octobre 2018 stipulait qu’une parcelle ne pouvait être construite. Or, la Cour remarque que le permis de construire initial portant sur une surface de 12.254 mètres carrés incluait cette parcelle. Pour cette raison, la Cour considère que « la société doit être regardée comme s’étant livrée à une manœuvre de nature à induire l’administration en erreur, en particulier sur la satisfaction des règles de densité des constructions prévues à l’article U6 de la carte de l’urbanisme de Saint-Barthélemy ». De cette constatation, la Cour tire la conclusion suivante : « Le permis de construire initial délivré le 19 décembre a été obtenu par fraude. Cette illégalité n’étant pas de nature à être régularisée par la délivrance d’un permis de construire modificatif, les permis de construire modificatifs délivrés les 3 juin 2021 et le 14 août 2024 ne peuvent être qu’annulés. »

« On n’abandonne pas, on va ouvrir un hôtel »
Sollicités par le JSB, le directeur général régional du Barthélemy Hôtel & Spa (qui porte le projet de l’hôtel Émeraude St Barth par le biais de la société Beach Real Estate Invest), Sébastien Maingourd (également représentant de l’association des hôtels et villas au sein du Conseil économique, social, culturel et environnemental de Saint-Barth) et l’avocat de la société, maître Xavier de Lesquen, ont souhaité apporter de plus amples précisions. D’emblée, Sébastien Maingourd affirme : « La chose importante à préciser est que l’on n’abandonne pas. On va faire un hôtel. On va ouvrir un hôtel. On ne s’arrête pas à cette décision. »

« Un permis obtenu après de longues discussions »
Pour sa part, Xavier de Lesquen considère la décision de la Cour administrative d’appel comme «très décevante ». Il s’en explique : « Il faut mettre cette décision en perspective avec tout ce qui s’est passé depuis 2019. Le permis avait été annulé en 2021, principalement pour un motif d’atteinte à la sécurité publique, en partie lié au sous-sol qui était prévu. Le tribunal avait estimé que cet élément n’était pas régularisable. Ce qui nous privait de la possibilité d’ajuster le projet. On a fait appel à l’époque, mais très rapidement notre choix a été de prendre les devants en adaptant le projet en tenant compte de ce qu’avait dit le tribunal. En discutant avec l’association Saint-Barth Essentiel (qui est à l’origine de toutes les procédures de contestations initiales, ndlr) pour sortir de cette situation de confrontation, et avec la Collectivité. Parce que, d’une part, les règles avaient changé avec la nouvelle carte d’urbanisme, et d’autre part notre intention était de trouver un projet qui corresponde aux attentes des uns et des autres. » Après une étape de médiation, la société a donc obtenu un nouveau permis de construire modificatif, le 14 août 2024. « La déception provient du fait que ce permis a été obtenu après de longues discussions, avec un projet qui a été amplement débattu, souligne l’avocat. Une décision de justice, ça se respecte toujours. Mais la Cour confirme que le tribunal s’était trompé en disant que le projet initial n’était pas régularisable. Cela montre que cette première erreur judiciaire nous a fait perdre beaucoup de temps. Trois ans au minimum. »

Pourvoi en cassation
Autre élément soulevé par le conseil, le moyen tiré de la fraude avancé par les opposants au projet. « Il repose sur une réinterprétation du bail à construction signé pour le terrain d’assiette du projet à Saint-Jean, remarque-t-il. La Cour a manifestement suivi cette lecture, mais cette décision repose sur une interprétation d’un acte de droit privé. Une lecture que l’on conteste. » Pour ce faire, la SAS Beach Real Estate Invest entend se pourvoir en cassation.
« L’interprétation que fait la Cour du bail à construction pourrait s’appliquer à quasiment tous les baux qui sont passés sur l’île, et au-delà, assure maître de Lesquen. C’est une position nouvelle, assez inattendue. Donc, nous irons devant le Conseil d’État pour vérifier le bien-fondé de cette position. »
De plus, un nouveau permis de construire devrait être déposé « très rapidement ». Après avoir « clarifié des choses dans le bail à construction si c’est nécessaire ». Mais pour l’avocat, «il ne s’agit pas de changer le projet issu de la médiation». Il explique : « Si on comprend l’arrêt de la Cour, le paradoxe est qu’il suffit de clarifier le bail pour faire exactement le même projet. Ce qui est un peu curieux au regard du motif d’annulation, puisque l’on parle de fraude. Tout cela a un côté très frustrant mais on va repartir au travail. » Sébastien Maingourd insiste : « On n’est pas abattu. Le projet est valide, le terrain constructible, on va y arriver. »

La Collectivité « prend acte »
Également invitée à s’exprimer, la Collectivité territoriale indique qu’elle « a pris acte de l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Bordeaux décidant d’annuler les permis de construire délivrés en vue de la construction d’un nouvel hôtel sur la baie de Saint-Jean sur un nouveau motif indépendant de la Collectivité, sur le permis de construire attribué initialement le 19 décembre 2019 ». Et d’ajouter : « La décision de la Cour repose sur une interprétation juridique que nous allons analyser en détail. Le motif de cette annulation et ses incidences juridiques et administratives n’appellent donc, à ce stade, aucun commentaire de sa part. »
 

 

Journal de Saint-Barth N°1614 du 02/05/2025

Transat Paprec
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