Saint-Barth -

Esclandre magistral lors de l’audience du tribunal à Saint-Barth

L’audience de proximité du tribunal correctionnel qui s’est tenue le jeudi 30 mars dans la grande salle de la capitainerie de Gustavia a été le théâtre d’une vive altercation entre la ­présidente et la procureure de la République, avant que les avocats ne réclament le renvoi des trente dossiers inscrits à l’ordre du jour.

 

La Justice n’a pas pour habitude de se donner en spectacle. Pourtant, le jeudi 30 mars à l’occasion de l’audience de proximité du tribunal correctionnel, à Saint-Barthélemy, une scène pour le moins surréaliste s’est déroulée sous les yeux de justiciables médusés. Convoqués dans la grande salle de la capitainerie de Gustavia, qui chaque mois accueille traditionnellement une audience dite « foraine », les personnes impliqués dans les dossiers du jour ont été témoins d’une altercation verbale des plus vives entre la présidente du tribunal et la procureure, représentante du ministère public. « Je n’avais jamais vu ça », s’étrangle encore un avocat au sortir d’une audience qui, par le fait, a été écourtée. Il faut avouer que tout avait plutôt mal commencé.
En effet, une partie des justiciables ont été convoqués à 8 heures quand d’autres ne devaient se présenter qu’à 9 heures. Ainsi, lorsque la présidente et la greffière arrivent, vers 8h45, certaines personnes attendent déjà depuis une heure, parfois en compagnie de leur avocat. Quelques minutes plus tard, la présidente annonce que le procureur qui devait arriver de Guadeloupe n’a pas été en mesure de prendre son avion. Par conséquent, un substitut du parquet de Saint-Martin va le remplacer au pied levé. Toutefois, venant par bateau, son arrivée n’est prévue que pour 10 heures. L’audience ne pouvant se tenir sans le ministère public, la présidente invite les justiciables et les avocats à revenir pour 9h45.

« Une belle image de la Justice »
A 10h15, la procureure arrive enfin. Les mains dans les poches, ou presque, puisqu’elle n’est en possession d’aucun des trente dossiers qui doivent être examinés à l’audience. Mieux, lorsque la présidente ouvre les débats, la représentante du parquet a les yeux rivés sur son téléphone portable. La magistrate n’y prête pas attention et appelle la première affaire. D’emblée, compte tenu des circonstances, elle annonce qu’elle va être dans l’obligation de renvoyer les dossiers les moins urgents. Comme celui de la jeune femme qui se tient debout devant la barre et qui est convoquée pour des faits d’alcoolémie au volant. La présidente se tourne alors vers la procureure et lui demande si elle voit une objection à ce renvoi. Celle-ci, levant les yeux de son écran de téléphone, lance : « Je ne vois pas pourquoi. »
Calme, bien que manifestement ulcérée, la juge réplique : « Parce que vous arrivez à 10h30, que vous repartez à 17 heures, que nous avons trente dossiers et qu’il ne sera pas possible de tous les aborder. » La procureure prend la mouche et commence à expliquer que son arrivée tardive est liée à une convocation de dernière minute, etc. La présidente sent poindre l’incident. Elle interrompt la représentante du parquet et suspend l’audience. Elle invite alors la procureure à la suivre dans une arrière-salle pour avoir une explication. Refus catégorique de cette dernière. La présidente du tribunal ne cache plus son exaspération.

« Comme un cheveu sur la soupe »
Plusieurs avocats ramassent leurs dossiers et déclarent : «On va vous laisser. » Mais ils restent. Comme l’ensemble des justiciables qui, debout, paraissent aussi interloqués qu’interdits face à un tel esclandre. « C’est une belle image que l’on donne de la justice », peste un avocat. L’une de ses consœurs prend la parole et hurle au scandale. Elle exprime notamment son mécontentement vis-à-vis du représentant du Parquet de Guadeloupe qui n’a pas effectué le déplacement jusqu’à Saint-Barth, sous le prétexte de blocages liés à la grève. «Il est procureur, il peut faire appel aux forces de l’ordre pour accéder à l’aéroport ! », s’emporte-t-elle.
Toujours assise, contrairement à l’ensemble des personnes présentes dans la salle d’audience qui se tiennent debout, la procureure explique qu’elle est «consciente d’arriver comme un cheveu sur la soupe » mais déclare ne pas comprendre «l’objet d’un renvoi dès l’évocation d’un dossier ». Un avocat rappelle alors que la présidente du tribunal détient le pouvoir de « police de l’audience », qui lui permet de prendre toutes les mesures nécessaires au respect des débats. De fait, l’article 438 du code de procédure civile stipule : « Le président veille à l'ordre de l'audience. Tout ce qu'il ordonne pour l'assurer doit être immédiatement exécuté. » Ce, qu’il s’agisse d’un procès civil ou pénal.

Renvoi de 27 dossiers
Après quelques minutes de confusion, la procureure accepte de suivre la présidente dans l’arrière-salle. Les deux magistrates sont bientôt rejointes par les douze avocats présents. Au sortir de cet entretien, la présidente ouvre l’audience. Il est près de 11 heures. La juge donne la parole à un avocat, qui s’exprime au nom de ses consœurs et confrères. « Il apparaît que madame le procureur n’a pas eu connaissance des dossiers, remarque-t-il. Dans ces conditions, je ne vois pas comment elle pourrait formuler des réquisitions. De plus, il semble nécessaire de rappeler que l’on ne peut s’opposer à la police de l’audience. C’est la raison pour laquelle je demande le renvoi de tous les dossiers. » La présidente acquiesce. « L’audience ne peut se tenir dans de telles conditions », confirme-t-elle. Elle prononce le renvoi des dossiers à l’audience du 7 septembre. Les avocats et les justiciables quittent progressivement la salle, quelque peu abasourdis. Dans le même temps, la présidente appelle les noms des prévenus qui n’ont pas avocat pour leur expliquer la situation. Au final, trois dossiers seront examinés. Dans une atmosphère pesante.

Une audience « foraine » bousculée
L’incident, historique, vient illustrer avec force les difficultés rencontrées pour l’organisation de l’audience de proximité à Saint-Barthélemy. Si les magistrats du tribunal de Saint-Martin, et tout particulièrement la juge Nathalie Conrad, affichent leur volonté de maintenir cette audience dite « foraine », les dysfonctionnements actuels du greffe ainsi que le manque évident d’enthousiasme de certains représentants du ministère public à effectuer le déplacement ne facilitent pas la bonne tenue de ce rendez-vous judiciaire. Celui-ci s’avère pourtant d’une importance indéniable pour les justiciables de Saint-Barthélemy. Parce que cette audience publique donne une visibilité sur la manière dont la justice est rendue, mais aussi de façon plus pratique parce qu’elle leur permet de ne pas avoir à se déplacer à Saint-Martin.
Quoi qu’il en soit, il ne fait guère de doute que l’esclandre du jeudi 30 mars aura des répercutions. Il faut toutefois espérer qu’il ne remettra pas en question la tenue de l’audience correctionnelle de proximité à Saint-Barthélemy.
 

 

Journal de Saint-Barth N°1514 du 06/04/2023

L'hôpital de Bruyn sort de la direction commune
La justice se donne en spectacle