Saint-Barth -

Aurélien, accidenté à scooter : « Je voyais une vie différente, j’avais des projets »

Un accident impliquant un conducteur à 5,10 grammes d’alcool dans le sang, une ado de 18 ans qui s’encastre dans une voiturette après avoir bu et fumé de l’herbe, un homme endormi au volant au milieu de la chaussée… Le défilé de prévenus au tribunal montre que la prise de conscience des dangers de la route et de l’alcool au volant est encore loin. Pourtant les conséquences sont terribles. Aurélien, 28 ans, qui a failli perdre sa jambe dans un choc entre sa moto et un camion, en sait quelque chose.

 

 

Du saisonnier à l’ouvrier portugais, de la mère de famille à l’adolescente, il y a de tout parmi les dizaines de prévenus de l’audience du tribunal correctionnel, jeudi dernier. Côté infractions, en revanche, c’est uniforme : stupéfiants et alcool au volant. Avec des taux autour des 2 grammes par litre de sang, en moyenne (lire page précédente). 

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, la présidente Leuly-Joncart fait l’appel des prévenus. J., 51 ans, n’est pas là : «C’est celui qui était venu saoul à la dernière audience. » F., 42 ans, est absent également. «Cet homme », dit-elle à l’adresse de tout le public, « a eu un accident avec 5,10 grammes d’alcool dans le sang, et 50 nanogrammes de THC. Il est toujours en vie, et il roule toujours. » Il sera jugé la prochaine fois. « Nous n’avons que des dossiers comme ça aujourd’hui. Avec des gens mutilés. La mutilation, vous savez ce que c’est ? C’est quand on marche sur une mine. C’est ce qu’on a sur les routes à Saint-Barthélemy, et à Saint-Martin. » Et d’ajouter, en donnant congé à un premier prévenu condamné pour des infractions routières : «Bonne chance, parce que l’on peut parler de bonne chance sur les routes de cette île. »

 

Scooter contre camion

La dernière affaire jugée ce jour-là est symptomatique de ce problème sur l’île. Elle oppose deux hommes à la barre.

La vie d’Aurélien, 28 ans, a basculé le 8 septembre 2018 sur la route entre Lurin et Gustavia, près de la “villa mexicaine”, dans un choc entre le scooter qu’il conduisait et un camion-fourgon d’artisan.

Aurélien est victime mais aussi prévenu, puisqu’il roulait sur un scooter 100 cm3 sans le permis adéquat. Titulaire du BSR et du permis B, il explique qu’il ignorait qu’il fallait un permis moto pour ce deux-roues, qu’un ami lui avait confié pendant ses vacances. Ami qui n’avait pas assuré le scooter.

Face à lui, un Portugais de 42 ans, assisté d’une interprète. Le camion qu’il conduisait, celui de sa société, roulait sans contrôle technique. Mais surtout, il avait 0,96 grammes d’alcool dans le sang. Le résultat de trois bières avec des amis, « fortes », concède-t-il.

Chacun dit que l’autre roulait à contresens. Trois témoins assurent que lorsqu’ils sont arrivés sur place, le camion était au milieu de la route, et le blessé ensanglanté sur le côté. Le vice-procureur croit plutôt cette version du camion un peu trop à gauche. 

Il requiert la relaxe pour les deux faits reprochés à Aurélien. Même chose pour le défaut de contrôle technique du conducteur du camion, puisque c’est un véhicule de société. En revanche, pour les blessures involontaires et la conduite sous l’empire d’un état alcoolique, il requiert à l’encontre du ressortissant Portugais 6 mois de prison avec sursis, et l’interdiction de conduire tout véhicule durant six mois.

 

Le tribunal rendra son délibéré le 4 juillet.

 

Photos difficilement soutenables

Devant l’air abasourdi du Portugais, la Présidente insiste sur les conséquences dramatiques de l’accident. Et montre les photos difficilement soutenables de la jambe gauche d’Aurélien béante, chair et os à l’air libre, broyée.

Lui est toujours à vif quand il raconte son calvaire.

« J’ai été évacué le lendemain de l’accident à Saint-Martin, ils m’ont ressoudé les muscles, les tendons… Je suis revenu à la maison en fauteuil roulant, par le bateau. Trois semaines plus tard, j’ai eu une nécrose, un début de gangrène. Ils ont dit qu’il faudrait sûrement me couper la jambe. Je suis retourné à Saint-Martin, ils m’ont rouvert et enlevé le muscle. »

 

Rentré à Saint-Barth, pour éviter une nouvelle nécrose, il doit porter en permanence une sorte de pompe qui pénètre à l’intérieur de son mollet, pour maintenir la jambe en vie. « On me l’a installée le 29 septembre, la plaie s’est refermée en février. C’est long. » IL est aussi contraint d’avaler des tonnes de pilules, se faire des piqûres dans les cuisses.

Maintenant, son existence est rythmée par la rééducation. Actuellement, il a du mal à tenir plus d’une heure debout.

 

Outre le physique, c’est la vie entière qui se délite. Aurélien ne peut plus travailler depuis l’accident. Il a passé plusieurs mois en fauteuil roulant à ne pas pouvoir s’extraire de sa maison. « Ensuite, il y a eu les béquilles, puis la pompe...» La sécurité sociale lui a versé 600 euros par mois au départ, mais il a épuisé ses droits. Comme le conducteur du camion considère qu’il n’est pas responsable de l’accident, l’assurance de ce dernier (avertie six mois après les faits, de surcroît) refuse d’avancer les frais médicaux tant que la justice n’aura pas livré son verdict. Aurélien n’a plus aucun revenu, et des frais de santé qui frisent les 30.000 euros à ce jour. Ses proches le soutiennent comme ils peuvent, sa compagne assure l’intérim pour le loyer et le reste, mais dans ce genre de situation, le couple en prend aussi un sacré coup. Me Bringand-Valora, avocate d’Aurélien, décrit un jeune homme proche de la dépression. Même s’il affirme être conscient de sa chance de pouvoir se tenir debout sur deux jambes. 

 

« Arrêtez de boire quand vous conduisez »

« Depuis septembre, j’ai l’impression de survivre sur cette île. Les médecins m’ont prévenu, je souffrirai toute ma vie. Mais surtout, je voyais une vie différente, j’avais des projets. » Aurélien, heurté par le défilé de condamnations pour alcool au volant, tout au long de la journée, tenait à raconter son histoire et espère être entendu. « Arrêtez, arrêtez de boire de l’alcool quand vous conduisez. Ça ne tient à rien. »


JSB 1332





Journal de Saint-Barth N°1332 du 13/06/2019

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