Saint-Barth -

Nos plages étouffées sous les algues brunes

Ces derniers jours, des échouages massifs sont arrivés sur les rivages de Saint-Barth. Pour la seule journée de lundi, 109 tonnes de sargasses ont été retirées de l’Anse des Cayes.

Tous les skippers de la Transat AG2R La Mondiale ont eu les mêmes paroles à leur arrivée. Les sargasses sont un véritable fléau. « On en voit dès les îles Canaries », assure l’un des vainqueurs. « On passe des heures à enlever les algues, on n'a pas une minute de répit, j’en ai marre », lâche Gildas Mahé quelques heures avant d’arriver à Gustavia. « On n’en entend pas beaucoup parler en métropole, pourtant c’est une catastrophe », s’alarme Pierre Loulier en descendant de son bateau.

Si depuis le début de l’année, Saint-Barthélemy avait été plutôt épargnée par rapport à ses voisines, depuis une semaine, les sargasses affluent. L’horizon marin est constellé de larges taches brunes. Les plages disparaissent sous la masse d’algues.

La Collectivité paie une entreprise pour enlever chaque matin les sargasses sur les sept plages les plus touristiques de l’île (Public, Saline, Gouverneur, Saint-Jean, Flamands, Lorient et Shell Beach). Ces jours-ci, le ramassage est quotidien aussi sur les autres plages, notamment à l’Anse des Cayes. Pour la seule journée de lundi, au total, dix-neuf personnes ont travaillé à retirer les algues, à l’aide de six camions. 109 tonnes ont été déplacées depuis la plage de l’Anse des Cayes jusqu’au terrain de Saint-Jean. Mais à peine l’enlevage terminé, les sargasses reviennent en masse… Rien qu’un aller retour en bateau entre Gustavia et Fourchue est désormais contraint à plusieurs arrêts, pour libérer le moteur. La baie de Colombier est épargnée de la présence des algues brunes, mais pas de leur odeur nauséabonde. 

Dans les autres îles, notamment en Guadeloupe et en Martinique, les élus et responsables locaux continuent de se mobiliser pour que l’Etat agisse. Ce dernier a déjà accordé 3 millions d’euros d’aide d’urgence à la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique. Une goutte d’eau, quand on sait qu’à Saint-Barthélemy, l’enlevage des algues a coûté plus d’un million d’euros à la Collectivité l’an dernier.

Pas de vraie solution

Le département de la Guadeloupe envisage d’expérimenter d’ici la fin du mois une nouvelle solution. Un bateau de dragage irait aspirer les sargasses au large, avant qu’elles ne touchent les cotes. Elles seraient alors broyées puis rejetées en haute mer, par 400 mètres de fond. Le coût et l’efficacité de ce procédé, sans parler de ses effets sur le milieu marin, doivent être étudié, indique la préfecture.

Sur les réseaux sociaux, des photos de barrages anti-sargasses circulent, publiées par la société qui les fabrique. Les images sont frappantes. Il s’agit de déployer un boudin au large des plages, avec un rideau qui retienne les algues et les dévie vers un point défini, pour qu’elles soient retirées plus facilement. Cependant, les résultats ne sont pas encore vraiment satisfaisants. Le maire d’une commune martiniquaise a testé le dispositif, et met en doute son efficacité.

Comme l’ensemble des élus des Antilles, le sénateur de Saint-Barthélemy Michel Magras assure qu’il a demandé aux ministres de réagir urgemment à ce sujet. Trois sont concernés : la ministre des Outre-mer Annick Girardin, de la Transition écologique Nicolas Hulot, et de la Santé Agnès Buzyn. La députée FN Marine Le Pen a écrit une lettre à l’attention du second, dans laquelle elle fustige une "gestion déficiente de cette catastrophe naturelle par l'État. Le gouvernement ne saurait se défausser de sa responsabilité sur les collectivités territoriales, qui ne disposent que de moyens limités pour lutter contre un tel fléau naturel », poursuit-elle.

Des élus martiniquais et guadeloupéens continuent de demander un placement de l’invasion des sargasses en catastrophe naturelle. L’ancien garde des Sceaux François Bayrou a également fait cette demande, s’engageant à « défendre cette nécessité et cette urgence que cela soit effectivement accepté comme ce que c'est, c'est-à-dire une catastrophe naturelle qui doit entraîner des mécanismes d'assurance et la solidarité. »

Catastrophe naturelle ou non, habitants et décideurs des Antilles et de Guyane sont d’accord sur le fait que le gouvernement a largement sous-estimé le problème. Annick Girardin l’a elle-même reconnu il y a quelques jours. La colère des élus antillais commence à trouver un écho à Paris. Le Monde a publié un long article sur « le cauchemar des Caraïbes », RTL également. Quoi qu’il en soit, si l’Etat décide de soutenir financièrement les collectivités, cela ne règlera pas pour autant le fond du problème, pollution en Amérique du Sud et réchauffement des océans, qui nourrit les sargasses.


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ENCADRE

 

Bientôt un « préfet sargasses »

 

Interrogée dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, Annick Girardin, ministre des Outre-mer, a admis « un manque de réactivité cette année » dans l’aide à la gestion de la crise sargasses. Un plan de trois millions d’euros a été voté pour la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique, jugé très insuffisant par la majorité des autorités locales. Ainsi, Annick Girardin a annoncé qu’un préfet spécialement en charge de cette question serait nommé, à l’image de ce qui avait été fait avec Philippe Gustin en septembre, qui était préfet chargé exclusivement de la reconstruction après Irma. « La seule chose que nous savons faire aujourd'hui est de ramasser les algues sargasses. Je voudrais remercier ceux qui sur le terrain sont mobilisés », a souligné la ministre. « Il faut aller beaucoup plus loin, dans la durée. Nous allons mettre en place des plans d'urgence locaux sargasses, parce qu'on a eu un manque de réactivité cette année. Et nous avons des arrivages qui sont beaucoup plus massifs que les années précédentes. Ces plans, nous allons les mettre en place avec la nomination d'un préfet qui devra coordonner l'ensemble de ces actions. » Les collectivités locales pourraient aussi bénéficier de fonds d’intervention d’urgence, notamment pour l’acquisition de matériel de ramassage et de personnel.

 

Par ailleurs, plusieurs actions ont été lancées, notamment l’organisation d’une conférence régionale pour toute la Caraïbe sur le sujet des sargasses, qui se tiendrait en octobre prochain. Plusieurs députés de Guadeloupe et Martinique demandent le classement des sargasses en catastrophe naturelle, pour l’instant, aucune réponse n’a été fournie à ce sujet.