Saint-Barth - CT conseil territorial

Face à un auditoire hostile aux modifications du code de l’urbanisme, le président Lédée et sa majorité ont préféré reporter le vote de la délibération.

Code de l’urbanisme : La majorité plie sous la pression populaire

Le peuple aime la nouveauté mais ne veut pas de changement. Aucun, en tout cas, qui ne vienne modifier de façon directe son quotidien. Un adage quasiment universel auquel la majorité territoriale et le président de la Collectivité Xavier Lédée ont été confrontés lors de la séance du conseil territorial qui s’est tenue le jeudi 14 décembre. Ainsi, pressé par une audience constituée de plus d’une centaine d’habitants (professionnels de l’immobilier et du secteur de la construction, de propriétaires loueurs, etc.), Xavier Lédée a choisi de retirer la délibération qui devait entériner des modifications du code de l’urbanisme, du logement et de la construction. Une décision appréciée de différentes manières au sortir de la séance. Pour certains, elle illustre un manque de ténacité et de conviction. Pour d’autres, elle reflète une forme de sagesse et de qualité d’écoute. Quoi qu’il en soit, la « pression » populaire exercée par l’auditoire lors de la réunion a eu l’effet escompté : le retrait de la délibération. Mais quel était le contenu de cette dernière ?

Histoire d’usage et de destination
Déjà exposé dans l’édition précédente du JSB (1545), le projet de délibération est constitué de trois points distincts. Le premier consiste à instaurer une définition plus précise de la destination et de l’usage des constructions. La destination concerne les futurs permis de construire, dont les porteurs devront préciser s’il s’agira d’une habitation principale, d’une location à l’année ou touristique. L’usage d’un bâtiment s’adresse aux constructions déjà existantes : si le propriétaire en change la destination (de logement principal à secondaire ou une mise en location), il devra le signaler. Pour la Collectivité, ces modifications s’avèrent nécessaires pour « protéger les logements résidentiels et éviter leur transformation en bureaux ou en locations touristiques ». Et de préciser : « Cette définition est le préalable indispensable à l’institution d’un mécanisme de contrôle et de régulation des changements d’usage, comparable à ce qui existe dans les communes en tension en métropole et dans de nombreuses villes à l’étranger ». De plus, il est expliqué dans la délibération que l’habitant d’une résidence principale devra justifier d’une occupation d’au moins neuf mois par an, soit une possibilité de location maximale de 90 jours. Pour une résidence principale ou secondaire, si la partie louée n’excède pas 25% de la surface plancher totale, le projet de délibération assure que l’habitation ne perdra pas son statut de résidence principale ou secondaire. Il est toutefois précisé dans l’article 3 que les mots « des résidences secondaires » sont remplacés par les mots « des bâtiments destinés à la location touristique » dans le troisième alinéa de l’article 4 de la délibération 2023-050 CT du 13 juillet 2023. D’évidence, la population concernée par ces changements avait besoin d’explications claires et concises sur ces points. Ce qui explique qu’une partie d’entre-elle a investi la salle du conseil lors de la réunion du jeudi 14 décembre.

Droit de préemption urbain : un intérêt contesté
Ce, d’autant plus qu’un troisième volet a également soulevé inquiétudes et interrogation. En l’occurrence, celui qui prévoit l’instauration du droit de préemption urbain (DPU) à Saint-Barthélemy. Un outil juridique qui viendrait s’ajouter au droit de préemption statutaire déjà inscrit dans la loi organique. A la différence de ce dernier, la Collectivité explique que le DPU « permet de mener une politique foncière plus active », notamment en permettant l’acquisition de terrains situés dans des zones urbaines, mais « également être institué dans des zones agricoles ou naturelles destinées à être reclassées, pour une période de 14 ans, en vue de futures opérations ». En revanche, contrairement au droit de préemption statutaire, le DPU ne peut pas être utilisé pour empêcher une opération ou interdire à « un acquéreur indésirable » d’acheter un bien. Bref, là encore, l’incompréhension sur l’intérêt d’une telle mesure a été bruyamment exprimée lors de la séance du jeudi 14 décembre.

Incompréhension générale
Tout au long de la séance, débutée à 17 heures, les élus de la majorité ont tenté de clarifier le contenu de la délibération ainsi que leurs objectifs. Xavier Lédée et Maxime Desouches, quatrième vice-président, se sont efforcés d’apporter des éléments d’explication supplémentaires dans le but d’apaiser l’inquiétude, mâtinée d'hostilité, de leur auditoire. Sans grand succès, à la vue des exclamations qui ont ponctué les interventions du conseiller territorial d’opposition Romaric Magras. Le chef de file du groupe Saint-Barth d’Abord a insisté sur « les conséquences » que pourraient avoir de telles mesures. «La diminution des possibilités de location en limitant à 90 jours aura des répercussions sur les revenus de la population qui loue, déclare-t-il. Pour louer plus de trois mois, il faudra changer la destination et ensuite répondre à certaines règles. Mais ces règles, on ne les a pas encore mises ! Quand allons-nous les connaître ? On ne le sait pas. Donc valider cette délibération, c’est vous signer un chèque en blanc. » Ovation dans la salle. Galvanisé, Romaric Magras poursuit et insiste : « Quel est l’objectif de la Collectivité? Devenir une commune de France ou continuer à avancer vers plus d’autonomie ? Est-ce que vous souhaitez ruiner notre économie ? » Nouvelle ovation de l’assistance. Et l’élu d’opposition de considérer que le droit de préemption statutaire se suffit à lui-même.

« Mettre la pression sur les spéculateurs »
Soucieux de ne pas laisser le débat se transformer en foire d’empoigne, Xavier Lédée reprend la parole. « Je pense que si l’on demande à chaque personne présente dans cette salle s’il y a un problème de logement à Saint-Barth, toutes répondront oui, estime le président. Mais si on leur demande combien il y a de logements sur l’île, personne ne saura répondre. Cette mesure nous permettra d’en apprendre davantage sur ce point. » Sur le droit de préemption urbain, le président Lédée assure : « Notre objectif est de mettre de la pression sur les spéculateurs. » Seule difficulté : dans l’assistance, personne ne semble comprendre le lien qui existe entre les modifications du code voulues par la majorité territoriale et une amélioration de l’accès au logement sur l’île. « Aujourd’hui, vous voulez faire un coup politique en agitant les peurs, lance Maxime Desouches. Mais si on ne fait pas ce qu’il faut pour disposer d’un inventaire précis, on va au casse-pipe. » Et d’ajouter, maladroitement : « On aurait pu modifier le formulaire directement, ça aurait été plus simple et personne ne s’en serait rendu compte. » Tôlé dans le public.
Une femme présente dans l’auditoire prend la parole et lance : « On ne comprend pas. Ce n’est pas clair. Pourquoi ne pas organiser une réunion publique ? » Xavier Lédée constate cette incompréhension générale, accompagnée de reproches sur un manque de communication. Le président de la Collectivité décide alors d’ajourner le vote de la délibération. «Je propose que l’on organise une réunion publique avant fin janvier pour que l’on puisse ensuite prendre une décision sereinement », ajoute-t-il.
Quelques interventions de conseillers suivent l’annonce de ce report, mais la décision est prise. A la fin de la séance, les élus de la majorité semblent quelque peu abasourdis. « La délibération est pourtant claire », répète l’un d’eux. Pas assez, manifestement, aux yeux d’une partie de la population. Depuis, aucune communication n’a été faite sur la date d’une éventuelle réunion publique sur le sujet.
 

Avis mitigé du CESCE
Le Conseil économique, social, culturel et environnemental a transmis un avis au conseil territorial avant la séance de jeudi. Il y considère la création de la destination « locations touristiques » dans le droit de l’urbanisme comme « un ajout cohérent ».
« Il va contribuer à améliorer les informations fournies lors des dépôts de demandes d’autorisation », constate-t-il. Sur la mise en place d’une liste de sept usages auxquels peuvent être affectés les locaux d’habitation ou d’hébergement, le CESCE estime qu’il s’agirait « d’une petite révolution par rapport à la situation actuelle et aux habitudes des habitants, particulièrement les propriétaires fonciers locaux les plus modestes qui détiennent directement leurs biens et ne sont pas organisés en société ». Ces derniers n’étant, pour l’heure, assujettis à la moindre déclaration. Enfin, sur le droit de préemption urbain, le CESCE émet des réserves et s’interroge sur son utilité. Une modification qui, selon le Conseil, « pourrait être mal accueillie et provoquer un fort émoi au sein de la population ». Le conseil territorial en a été la parfaite illustration.

 

 

Journal de Saint-Barth N°1546 du 21/12/2023

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