Depuis le début de la saison, Saint-Barthélemy avait été épargnée par les sargasses. Comme si les algues brunes, qui ont littéralement assailli la Guadeloupe, avaient jusqu’à présent et fort opportunément dédaigné Saint-Barth. Une situation qui a brusquement évolué en fin de semaine dernière. En effet, d’imposantes nappes de sargasses ont « soudainement » fait leur apparition avant de s’échouer sur les plages de différentes baies de l’île. Ainsi, de Grand et Petit-Cul-de-Sac jusqu’à Grands Galets (Shell Beach) en passant par l’Anse des Cayes, le sable a été recouvert d’algues échouées. En des proportions parfois impressionnantes, comme à Grand-Cul-de-Sac où l’amas de sargasses a été mesuré, dimanche 15 juin, à plus de 22 centimètres de hauteur. Une véritable invasion qui, si elle s’avère dérangeante pour les habitants et les quelques touristes encore présents sur l’île, présente des dangers bien plus importants pour la biodiversité.
Érosion des plages
Dès le signalement des premiers échouements, les équipes des services techniques de la Collectivité ainsi que l’entreprise payée pour s’occuper du ramassage ont été mises à contribution pour évacuer les plages de «leurs» sargasses. Avec les moyens du bord, c’est-à-dire des petites pelleteuses, des pelles et des râteaux. Une « technique » qui n’est pas sans poser des problèmes en matière d’érosion des plages, comme le rappelle le directeur de l’Agence territoriale de l’environnement, Sébastien Gréaux. « Il y a quelques années, pour une tonne de sargasses ramassée, on prélevait environ 300 kilos de sable, explique-t-il. Il y a beaucoup moins de perte aujourd’hui mais elle existe toujours. Ramasser l’équivalent d’un terrain de foot en quatre jours, ce n’est pas évident. » Néanmoins, Sébastien Gréaux souligne que, pour l’heure, « aucun territoire n’a trouvé la solution parfaite ». De plus, retirer le plus rapidement possible les algues échouées ne relève pas uniquement du bien être visuel ou olfactif mais aussi et surtout de la préservation de l’environnement.
Herbiers et coraux en danger
Le directeur de l’ATE évoque les conséquences, parfois très rapides, de l’arrivée d’un imposant banc de sargasses. « Quand une nappe arrive, son premier impact est de masquer la lumière pour les herbiers et les coraux, détaille-t-il. Les herbiers et les coraux se trouvent alors en état de stress et peuvent en mourir. On peut aussi parler du frottement des algues sur les coraux lors de leur passage, qui les endommage et les affaiblit. Et quand les sargasses coulent, c’est pire. » De fait, les algues entrent vite en phase de décomposition, développent des bactéries qui consument l’oxygène. « On constate une diminution jusqu’à un seuil mortel pour les herbiers et les coraux », souligne Sébastien Gréaux qui annonce : « A Marigot, on sait que l’on va avoir de la mortalité. Mais pas qu’au niveau de la flore. Les poissons vont être affectés aussi. Ça peut être très soudain. En une nuit, le taux d’oxygène chute et provoque la mortalité de la flore et de la faune. »
Des conséquences pour les tortues
De plus, les échouements de sargasses entraînent une hausse de la température. Un changement brutal qui, une fois encore, s’avère particulièrement nocif pour la faune et la flore sous-marine. Une autre inquiétude concerne les tortues. En particulier les espèces qui sont en période de ponte, donc de reproduction. Les tortues luth, par exemple, dont plusieurs spécimens ont été observés à Saint-Barthélemy ces dernières semaines, peuvent renoncer à se hisser sur la plage en raison de l’obstacle constitué par les sargasses échouées. Quant aux nids déjà en place, ils peuvent être recouverts au point de menacer le bon déroulement des éclosions.
D’autres espèces se reproduisent dans l’eau et laissent leurs œufs dériver jusqu’à ce que ces derniers se fixent quelque part. Si cette fixation s’effectue sur des sargasses, c’est la mort assurée. « On a pu le constater avec les oursins diadème, explique Sébastien Gréaux. Là aussi, l’arrivée des sargasses a un impact. »
En revanche, pour les tortues de mer et les requins citron, qui se reproduisent volontiers près des côtes, le danger est moindre. « Nous n’avons constaté une mortalité de tortue qu’il y a cinq ou six ans, à Grand Fond et à Toiny, indique le directeur de l’ATE. Et nous n’avons jamais retrouvé de requin mort, même des requins juvéniles. Ils sont de gros consommateurs d’oxygènes donc quand ils sentent le danger, ils s’éloignent de la côte. Au risque de tenter leurs prédateurs. » Car ces derniers se régalent de la situation. A l’image des gros tarpons qui tournent pour s’emparer des poissons en fuite. Ou des oiseaux, qui se repaissent des poissons affaiblis.
Pour résumer, les sargasses sont une plaie. Mais, faute de solution, une plaie dont il va falloir continuer de s’accommoder.
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Quand le programme Green Overseas s’arrête à Saint-Barth
Une quarantaine de représentants des Pays et territoires d’Outre-mer (PTOM) ont fait une escale à Saint-Barthélemy, fin mai, dans le cadre du programme européen Green Overseas. Alors qu’ils étaient réunis à Saint-Martin pendant une semaine pour participer à des ateliers de travail sur les risques de submersion ainsi que l’érosion côtière, ils ont effectué une journée de visite à Saint-Barth afin de prendre le pouls de la situation locale. Une « inspection » qui s’est déroulée sous la conduite de l’Agence territoriale de l’environnement, avec le concours des associations Coral Restoration et Island Nature Experience. La scientifique Anaïs Coulon, qui a réalisé une étude sur l’évolution du trait de côte à Saint-Barthélemy, était également de la partie. « Cette journée a permis de revenir sur des études de cas afin de comprendre la manière dont chacun gère « son » érosion, explique-t-elle. C’est important car cela permet de partager les bonnes pratiques et installe le développement de la coopération régionale. » A Saint-Barthélemy, les cas concrets présentés ont été ceux des plages de Saline et de Saint-Jean. Certaines actions qui ont été entreprises pour freiner l’érosion ont été exposées, tout comme les enjeux. L’ATE a également présenté un rapport sur l’état des coraux. De ces rencontres doivent naître des projets régionaux de préservation de la biodiversité.
En Guadeloupe, une kitesurfeuse prisonnière des sargasses
Le lundi 9 juin, une kitesurfeuse âgée de 43 ans a été prise au piège d’une nappe de sargasses à environ 80 mètres au large de l’Anse du Belley, à Sainte-Anne. L’intervention de l’hélicoptère de la sécurité civile (Dragon 971) a été nécessaire pour hélitreuiller la prisonnière des algues et ainsi la secourir.