La musique au bout des doigts

Une poignée de main délicate, un large sourire, Delyana Lazarova sait naturellement mettre ses interlocuteurs à l’aise. De fait, c’est avec une grande simplicité que la musicienne accueille le JSB. Malgré son statut de cheffe d’orchestre, l’une des rares du monde musical. Aujourd’hui, le « corps » des chefs d’orchestre ne compte qu’environ 5% de femmes. Par conséquent, la présence de Delyana Lazarova à Saint-Barthélemy à l’occasion de la quarantième édition du Festival de musique n’en est que plus précieuse.

«Mon chant est horrible !»
Originaire de Bulgarie, elle grandit dans une famille de musiciens et de journalistes. Sa principale inspiration est sa mère, professeure de piano mais également compositrice. Dans ses jeunes années, c’est pour le violon que bat le cœur de la petite Delyana. Même si elle aurait préféré chanter. «Malheureusement, mon chant est horrible, s’amuse-t-elle. J’avais le sentiment que l’instrument qui s’approchait le plus de la voix humaine était le violon. » Elle se lance dans un long apprentissage qui va la mener jusqu’aux Etats-Unis, où elle obtient une maîtrise et un diplôme de performance de la Jacobs School of Music de l'Indiana. Elle y reçoit également une bourse d'excellence artistique. Mais, admet-elle, elle nourrit depuis sa plus tendre enfance une profonde curiosité pour l’étrange personnage qui tourne le dos au public et gesticule, dressé face à l’orchestre.

Figure énigmatique
« Quand j’ai commencé à jouer du violon, j’avais cinq ans, raconte Delyana. Ma mère m’a amenée à un concert symphonique. Le soliste était un violoniste. J’étais impressionnée par sa performance mais, dans le même temps, j’étais littéralement émerveillée par la figure énigmatique du chef d’orchestre. Je me demandais ce que cette personne faisait là, en nous tournant le dos ! Après, j’ai conservé cet enthousiasme pour le rôle du chef d’orchestre, tout en continuant à étudier le violon. Puis, plus tard, j’ai pris la décision de m’essayer à l’apprentissage de chef d’orchestre. Et il se trouve que les choses se sont passées plutôt bien pour moi. » En effet… Delyana a étudié la direction d'orchestre à la Haute École des Arts de Zurich avec le professeur Johannes Schlaefli. Elle a aussi été assistante de Cristian M?celaru au sein de l'Orchestre symphonique de Cologne (Allemagne) et de l'Orchestre national de France.
En 2020, après avoir remporté le premier Concours international de chefs d'orchestre Siemens Hallé, Delyana Lazarova devient cheffe d'orchestre adjointe de Sir Mark Elder à l'Orchestre Hallé mais aussi directrice musicale de l'Orchestre de jeunes Hallé à Manchester (Angleterre). La même année, elle remporte le Prix de direction James Conlon au prestigieux Festival de musique d'Aspen. Depuis, elle a dirigé le Fort Worth Symphony Orchestra, l'Orchestre symphonique de Porto Rico et Roco Houston aux États-Unis, elle a travaillé pour l'Orchestre symphonique de Göteborg, l'Orchestre de chambre de Bâle, l'Orchestre de la WDR Funkhaus et est partie en tournée avec l'Orchestre national de Lille. Sans oublier ses collaborations avec l'Orchestre philharmonique de la BBC, l'Orchestre symphonique de la ville de Birmingham, la Real Filharmonía de Galicia, le Klangforum Wien, la Kammerphilharmonie Graubünden, le Musikkollegium Winterthur, le Collegium Musicum Basel, etc. «Je suis vraiment chanceuse de pouvoir faire tout cela », sourit-elle modestement. Comme si la chance avait quelque chose à voir avec un tel succès.

«Un endroit paradisiaque»
Du Festival de musique de Saint-Barthélemy, elle avait entendu parlé par des collègues musiciens. « Mais la raison principale pour laquelle je suis présente cette année, c’est Alecia Lawyer », confie la cheffe d’orchestre. Alecia Lawyer n’est autre que la fondatrice et directrice artistique du Roco de Houston. Elle est aussi et surtout l’une des plus fidèles musiciennes du Festival de musique puisqu’elle participe pour la dixième fois à l’événement cette année. « C’est elle qui m’a invitée, précise Delyana Lazarova. J’ai hâte de faire partie de ce Festival. Et je suis heureuse de commencer mon année par cet événement, dans cet endroit paradisiaque. »
De sa participation à la quarantième édition du Festival de musique, la cheffe d’orchestre espère de l’harmonie (sa prestation face à l'orchestre, mercredi soir, a été saluée par tous les spectateurs présents en l'église de Lorient, ndlr). « Les musiciens présents sont, peut-on dire, les meilleurs du monde, assure-t-elle. Ils viennent tous de formations différentes et le principal défi sera sans doute de se sentir unis, comme un seul et même orchestre. Car, pour beaucoup, ils n’ont pas encore joué ensemble. Néanmoins, le niveau est tellement élevé que nous surmonterons cette difficulté très rapidement. Par conséquent, j’espère vivre de grands moments avec les musiciens. De plus, le répertoire proposé est merveilleux. Toute l’idée du Festival est de mener la musique de chambre à son meilleur. Or, pour moi, l’orchestre que nous allons former est une extension de cette musique de chambre. » Pour sa part, Delyana Lazarova ne peut dissimuler son impatience à conduire l’interprétation de «l’immortelle» septième symphonie de Beethoven. « Particulièrement avec les fantastiques musiciens qui compose l’orchestre », lance-t-elle, des étincelles dans le regard.