Saint-Barth -

Six mois après Mina, rien n’a bougé aux piscines naturelles de Petit-Cul-de-Sac

Deux jeunes hommes s’engagent sur le sentier qui conduit aux piscines naturelles de Petit-Cul-de-Sac. Sacs à dos, lunettes de soleil, ils marchent à pas lent en quête du chemin qui va leur permettre d’accéder au site. Après quelques hésitations, puisqu’ils se rendent sur les lieux pour la première fois, ils parviennent enfin à emprunter la bonne direction. Les deux amis entament alors leur descente vers les piscines, en prenant soin de ne pas chuter sur la roche pourpre. Sans prêter la moindre attention au petit panneau qui porte les inscriptions suivantes : « Accès interdit, interdiction absolue d’accéder aux piscines naturelles, danger de mort. » Enfin, ils peuvent se plonger dans le bassin et se rafraîchir. L’un des deux jette un regard vers les cinq cordelettes tendues qui marquent l’interdiction d’accès au siphon. Il demande à son ami : « C’est là qu’une petite fille est morte, non ? » L’autre confirme d’un hochement de tête. La scène date de lundi dernier, le 5 juin, en milieu de matinée. Car depuis le mardi 25 octobre 2022, jour de la disparition de Mina Berlizon-Wetstein dans les profondeurs du siphon, et le vendredi 28 octobre, lorsque la décision d’abandonner toute tentative d’extraction du corps de l’enfant de 11 ans a été prise, rien n’a véritablement changé sur les lieux du drame.

Des panneaux d’interdiction d’accès

Certes, la Collectivité territoriale a installé un panneau à l’entrée de la plage de Petit-Cul-de-Sac, un autre au début du sentier et un dernier à proximité du site. Tous portant inscription, en français, de l’interdiction « absolue » de se rendre aux piscines naturelles. Des avertissements sans grand effet, manifestement. Les nombreuses photos publiées par des visiteurs sur les réseaux sociaux tout au long de la saison touristique en témoignent. Quant aux cinq cordelettes tendues entre des fixations dans la roche pour avertir les promeneurs du danger représenté par le siphon, sorte de chasse d’eau naturelle, il ne devrait guère impressionner les audacieux et autres inconscients. Néanmoins, le président de la Collectivité l’assure, aucune autre solution n’a été trouvée, pour l’heure. « On a mené des études avec les différents services de la Collectivité, l’Agence de l’environnement et des spécialistes qui ont pu être contactés sur l’opportunité, ou non, d’avoir une intervention humaine pour boucher ce siphon, explique Xavier Lédée. Ces études ne sont pas concluantes dans l’immédiat. »

Trois options pour obstruer le siphon écartées


Les travaux évoqués par le président de la Collectivité portent essentiellement sur trois options. La première consiste à injecter du béton dans le gouffre pour boucher la cavité. Elle a été écartée au motif que la profondeur du gouffre, bien qu’estimée à environ sept mètres, reste difficile à déterminer, selon l’analyse effectuée par les services techniques de la Collectivité. De plus, il a été avancé que l’étanchéité entre les parois et la force des pressions exercées par les vagues ne pourraient pas permettre d’assurer la pérennité d’un tel dispositif. La deuxième possibilité envisagée par la Collectivité a été d’obstruer le siphon en le recouvrant d’une plaque métallique. Une « solution » également rejetée. En raison de la grande taille de la surface à recouvrir (environ 40 m2) et de la difficulté à fixer durablement la structure à la roche.
Enfin, dernière option envisagée : le dynamitage des rochers qui surplombent le siphon pour provoquer son obstruction par éboulement. Là encore, cette possibilité a été balayé par les services techniques qui estiment le procédé trop aléatoire car il risquerait de laisser des ouvertures susceptibles d’entraîner les mêmes aspirations et autres effets de chasse. « La question est de savoir s’il existe une solution technique qui puisse garantir à 100% la sécurité du site tout en garantissant la préservation environnementale et les risques de pollution qui pourraient en découler, résume Xavier Lédée. La réponse est négative. Une des difficultés est que personne ne sait réellement comment ça se passe sous l’eau. Mettre une grille peut être très dangereux. » Aujourd’hui, le président de la Collectivité déclare qu’il n’y a « pas d’autre option envisagée ». Avec, toutefois, des questions que formule Xavier Lédée : « Faut-il ou non fermer ce site naturel ? Faut-il installer un barrage tout le long de la crète ? » Pour l’heure, elles restent en suspens. Une inertie que les parents de Mina Berlizon-Wetstein ne comprennent pas et ne peuvent accepter.

L’impossible deuil
Emilie et Aurélien n’étaient pas présents sur le site des piscines naturelles le jour du drame. C’est avec la mère d’une amie de leur fille que celle-ci s’est rendue sur place. « Jamais nous ne l’aurions emmenée dans un endroit aussi dangereux pour la laisser sans surveillance », assurent-ils. S’ils ont eu le sentiment d’un soutien sans faille de la Collectivité pendant et après leur tragédie, ils nourrissent depuis une incompréhension teintée d’exaspération face à l’absence de prise de décision radicale pour empêcher qu’un nouveau drame se produise au niveau du siphon. Car, comme le souligne leur avocat Paul Cottin, « le siphon et les piscines naturelles de Petit-Cul-de-Sac sont deux choses différentes et les gens font la confusion ». Le conseil des parents de Mina rappelle : « Le site est véritablement dangereux, très accidentogène. Au niveau du siphon, il suffit d’une vague. C’est extrêmement dangereux, maintenant mortel. »

Des rejets d’ossements
Si la vie a naturellement repris son cours sur l’île depuis l’accident, il est impossible pour la famille de Mina d’emprunter le chemin du deuil. Parce que le corps de la petite fille n’a pu être extrait du siphon, mais aussi et surtout parce que deux incidents ont ravivé de manière indescriptible leur souffrance au cours des derniers mois. En effet, en décembre puis en février, des vacanciers qui s’étaient rendus jusqu’au site des piscines naturelles ont découvert des ossements rejetés dans les bassins qui entourent le siphon. « C’est insupportable pour les parents, peste Maître Cottin. Ils n’ont toujours pas pu organiser un enterrement. Et voir que rien n’a été fait plus de six mois après, c’est tout aussi insupportable. Notre priorité est de faire cesser ces rejets d’ossements. On veut que la protection de la dépouille de l’enfant soit assurée. Récupérer les ossements dans le siphon n’est techniquement pas possible. Par conséquent, a minima, nous voulons que ce lieu devienne sa sépulture définitive. » Toutefois, l’heure n’est plus à la patience meurtrie.

Une enquête en cours
Après avoir sollicité l’analyse d’un expert pour obtenir des réponses claires sur les possibilités techniques envisageables pour obstruer le siphon, les parents de Mina Berlizon-Wetstein entendent, avec l’aide de leur avocat et si la solution n’évolue pas, se tourner vers la préfecture des Iles du Nord. Car le préfet, dans le domaine de la sécurité publique, dispose du pouvoir de se substituer à la Collectivité territoriale pour prendre des mesures. Si l’enquête pénale ordonnée pour élucider les causes et circonstances du décès de la petite fille est toujours en cours, l’avocat de la famille n’exclue pas d’entamer d’autres procédures judiciaires. Devant des instances civiles et administratives. « Nous n’avons pas envie d’en arriver là, affirme Maître Cottin. Je n’arrive pas à imaginer que nous puissions en arriver là. Tout simplement parce que boucher ce siphon relève du bon sens. L’extinction définitive d’un risque juridique sur un site mortel, ça me paraît être un problème à régler. » Quant à la crainte d’une jurisprudence qui pourrait découler d’une telle mesure, l’avocat la balaie d’un revers de manche. « Être amené à se poser la question de la sécurisation des sites dangereux de l’île me semble être une excellente nouvelle, lance-t-il. Et la peur d’être engagé sur d’autres sites potentiels ne peut pas être un frein. »
Tandis que toutes ces questions de mise en sécurité, d’expertises et de procédures sont évoquées, la douleur des parents de Mina Berlizon-Wetstein demeure plus vivace que jamais. Un sentiment indicible auquel se mêle l’épuisement lié à des démarches qu’ils n’imaginaient pas avoir à entreprendre. Encore moins à initier.

Du 25 au 28 octobre, la tragédie
Le mardi 25 octobre, alors qu’elle est sous la surveillance de la mère de l’une de ses amies, Mina Berlizon-Wetstein est happée par une vague et aspirée dans les profondeurs du siphon des piscines naturelles de Petit-Cul-de-Sac. Une vaste opération de sauvetage est immédiatement mise en place. Elle implique le Service territoriale d’incendie et de secours, la gendarmerie, mais aussi des renforts publics et privés de l’île, de Saint-Martin et de Guadeloupe. La population de Saint-Barth se mobilise également afin de participer aux recherches destinées à retrouver le corps de la petite fille de 11 ans. Celui-ci est finalement localisé dans une cavité du siphon, à plus de cinq mètres de profondeur. Le vendredi 28 octobre, après des jours et des nuits d’efforts infructueux, la décision est prise de mettre un terme aux opérations. 

 

« A tous,

Nous voudrions tout d’abord profiter de cette tribune pour adresser un grand remerciement à toute la population de l’Ile. Dès la disparition de Mina, nous avons été entourés de sollicitude, de bonnes pensées, d’aides en tout genre, en paroles comme en actes. Les propositions et invitations ont fusé de toutes parts et nous ont aidé à ne pas perdre la raison. Soyez-en ici tous remerciés.

Concernant les piscines naturelles de Petit-Cul-de-Sac, l’arrêté portant sur leur accès pris le 25 octobre pour ne pas entraver les opérations de secours court toujours. Malgré cela, le lieu reste très fréquenté, avec en manifestation concrète le signalement par des touristes du rejet des ossements de Mina dans les bassins aux mois de décembre et février, lors des forts épisodes de houle de Nord. Ces vacanciers étaient effarés d’apprendre qu’une petite fille s’était noyée là peu de temps avant. Les réseaux sociaux comme Instagram exhibent également des photos prises lors de visites postérieures à la date de l’accident. Le lieu reste donc on ne peut plus fréquenté, avec un va et vient de taxis déposants des visiteurs en mal de selfies. Si la mère de son amie a pu emmener notre Mina ce jour de mauvaise mer sur ce site dangereux, il n’y a aucune raison de penser que certains visiteurs des piscines naturelles vont devenir plus prudents du jour au lendemain.

Au 10 novembre 2022, conformément à notre souhait, la Collectivité s’était engagée à réaliser une étude technique visant à obstruer le siphon. Pour le moment, seuls les services techniques et la réserve naturelle ont été interrogés. Aucune structure compétente n’a travaillé sur le sujet et aucune solution technique éclairée n’a été apportée. A ce jour, le siphon reste toujours accessible malgré la signalisation mise en place, et toujours aussi dangereux.

A l’heure où le certificat de décès vient juste d’être délivré, suite à toutes les complications d’identification d’un corps disparu, l’enterrement de Mina parait toujours impossible. Comment faire une cérémonie tout en sachant que d’autres ossements peuvent encore ressortir de ce siphon toujours à ciel ouvert ? Comment porter en terre un cercueil si un épisode de houle de Nord peut à nouveau rejeter des os dans les bassins de baignade ?

Nous continuons à nous battre pour la mémoire de notre très chère Mina, toujours abasourdis par sa disparition. Nous sommes au quotidien prisonniers de cette prose de Jacques Prévert : «Je pense à autre chose mais je ne pense qu’à ça… »

Emilie Wetstein et Aurélien Berlizon

 

 

Journal de Saint-Barth N°1523 du 08/06/2023

Piscines naturelles de Petit-Cul-de-Sac
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